montrÉal - le devoir

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MONTRÉAL GRANDS MONTRÉALAIS CAHIER THÉMATIQUE C LE DEVOIR, LE JEUDI 20 NOVEMBRE 2014 Hommage posthume : Marcel Côté, le Grand Montréalais de facto Page C 4 Denis Coderre : un maire fier des Grands Montréalais Page C 2 PEERLESS Alvin Cramer Segal COURTOISIE CCMM Oliver Jones ACFAS Bartha Maria Knoppers COURTOISIE CCMM D r Réjean Thomas MARIE LAMBERT-CHAN C omme chaque année, l’Acadé- mie des Grands Montréalais s’apprête à ac- cueillir dans ses rangs quatre nouveaux mem- bres ayant contribué de façon remarquable à la vie écono- mique, culturelle, sociale et scientifique de la métropole : l’icône du jazz Oliver Jones, l’entrepreneur Alvin Cramer Segal, le fondateur de la cli- nique médicale l’Actuel le D r Réjean Thomas et la profes- seure spécialisée en droit mé- dical et en éthique biomédi- cale Bartha Maria Knoppers. Exceptionnellement, un cin- quième nom s’ajoute à la pres- tigieuse liste, celui de l’écono- miste et homme d’affaires Marcel Côté, mort le 25 mai dernier à l’âge de 71 ans. « À la suite de son décès, j’ai reçu énormément de messages me disant qu’on venait de perdre un grand Montréalais, dit Mi- chel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal mé- tropolitain (CCMM), l’orga- nisme responsable de l’hom- mage aux Grands Montréalais. Habituellement, nous souhaitons célébrer les gens de leur vivant, mais parfois, les circonstances de la vie en décident autrement. Nous avons donc soumis aux membres de l’Académie l’idée d’honorer Marcel Côté à titre posthume. La réponse a été posi- tive à l’unanimité ! » Il pouvait difficilement en être autrement, puisque Marcel Côté était re- connu pour son amour sans bornes pour la métropole et ses efforts inlassables pour en amé- liorer toutes les facettes. La seule et dernière fois qu’une personnalité a été dé- corée après son décès, c’était en 1978, lors de la création de l’Académie des Grands Montréalais. Il s’agissait d’Iole Appugliese, une ensei- gnante d’origine grecque qui a travaillé dans un quartier extrêmement pauvre de Montréal toute sa carrière et qui, malgré tout, a su tirer des résultats extraordinaires de ses élèves. Des gens connus… et moins connus Les Grands Montréalais sont élus au terme d’un pro- cessus de sélection éclairé et rigoureux, puis d’un vote se- cret tenu entre les académi- ciens. Les individus choisis sont souvent connus du grand public. C’est le cas d’Oliver Jones et du D r Réjean Thomas. Malgré la gloire, le premier n’a jamais oublié Montréal. « On le voit quand il est en spec- tacle ici. On sent qu’il est chez lui» , déclare M. Leblanc. Quant au second, « il n’a pas été aussi honoré qu’il aurait dû l’être », selon le président de la CCMM. «Le D r Thomas a été celui qui nous a mobilisés pour lutter contre le sida à une époque où cette maladie n’était pas à l’avant-plan, fait-il remar- quer. Sa nomination comme Grand Montréalais souligne son rôle déterminant, mais rap- pelle aussi que cette bataille est loin d’être gagnée, comme le dé- montre la réémergence de cer- tains comportements sexuels à risque chez les jeunes. » Parmi les Grands Montréa- lais, il y a aussi des travailleurs de l’ombre ou des personnali- tés plus réservées dont le tra- vail est non moins important. « C’est aussi à cela que sert l’Académie : attirer l’attention sur des individus qui sont moins célébrés sur la place pu- blique, signale Michel Leblanc. Je pense entre autres aux scien- tifiques. C’est notre façon de re- connaître la ville de savoir qu’est Montréal et l’excellence de ses chercheurs. » Bartha Ma- ria Knoppers en est un parfait exemple, selon M. Leblanc, qui la qualifie de « championne planétaire de l’éthique ». Cette juriste de renommée interna- tionale et professeure à l’Uni- versité McGill a entre autres mis sur pied la biobanque qué- bécoise CARTaGENE. Moins connu que les précé- dents Grands Montréalais dans la catégorie économique — on pense notamment à Lise Watier et à Lino Saputo — Alvin Cra- mer Segal reste un homme très admiré dans le milieu des af- faires. Il est président et chef de la direction des Vêtements Peerless Inc., le plus grand ma- nufacturier de vêtements pour hommes en Amérique du Nord. Il est aussi le président du conseil d’administration du Centre Segal des arts de la scène. « Ce qu’il a accompli au cours de sa carrière est absolu- ment remarquable, mais il a toujours œuvré dans la discré- tion », dit Michel Leblanc. La récompense de la persévérance Les cinq personnalités intro- nisées verront leur nom s’ajou- ter à la Constellation des Grands Montréalais, créée en 2012 à l’occasion des célébra- tions du 190 e anniversaire de la CCMM. Installée dans le hall ouest du Palais des congrès, du côté du parc Riopelle, la grande murale interactive est ornée de 127 points lumineux en l’honneur des Grands Montréalais nommés depuis maintenant 36 ans. Ils seront bientôt 132. « Avec le temps, on espère que les Montréalais et les visiteurs s’inspireront de ces grands noms qui ont contribué à faire de notre métropole ce qu’elle est aujourd’hui et ce qu’elle sera demain , déclare Michel Le- blanc. On veut leur montrer ce que peuvent apporter l’audace et la patience. La réussite de nos académiciens est rarement instantanée. C’est souvent l’œu- vre d’une vie. À une époque où les gens rêvent d’être célèbres du jour au lendemain, je pense qu’il est nécessaire d’insister sur l’importance de la persévé- rance. Au bout du compte, c’est ce qui permet de véritablement changer les choses. » Collaboratrice Le Devoir L ES G RANDS M ONTRÉALAIS Une source d’inspiration pour Montréal L’homme d’affaires Marcel Côté sera honoré à titre posthume JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les cinq personnalités intronisées verront leur nom s’ajouter à la Constellation des Grands Montréalais, créée en 2012 à l’occasion des célébrations du 190 e anniversaire de la CCMM. Installée dans le hall ouest du Palais des congrès, du côté du parc Riopelle, la grande murale interactive est ornée de 127 points lumineux en l’honneur des Grands Montréalais nommés depuis maintenant 36 ans. Ils seront bientôt 132.

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MONTRÉALGRANDS MONTRÉALAIS

C A H I E R T H É M A T I Q U E C › L E D E V O I R , L E J E U D I 2 0 N O V E M B R E 2 0 1 4

Hommageposthume: MarcelCôté, le GrandMontréalais de factoPage C 4

Denis Coderre :un maire fier des GrandsMontréalaisPage C 2

PEERLESS

Alvin Cramer SegalCOURTOISIE CCMM

Oliver JonesACFAS

Bartha Maria KnoppersCOURTOISIE CCMM

Dr Réjean Thomas

M A R I E L A M B E R T - C H A N

Comme chaqueannée, l’Acadé-mie des GrandsM o n t r é a l a i ss’apprête à ac-cueillir dans ses

rangs quatre nouveaux mem-bres ayant contribué de façonremarquable à la vie écono-mique, culturelle, sociale etscientifique de la métropole :l’icône du jazz Oliver Jones,l’entrepreneur Alvin CramerSegal, le fondateur de la cli-nique médicale l’Actuel leDr Réjean Thomas et la profes-seure spécialisée en droit mé-dical et en éthique biomédi-cale Bartha Maria Knoppers.Exceptionnellement, un cin-quième nom s’ajoute à la pres-tigieuse liste, celui de l’écono-miste et homme d’af fairesMarcel Côté, mort le 25 maidernier à l’âge de 71 ans.

«À la suite de son décès, j’aireçu énormément de messagesme disant qu’on venait de perdreun grand Montréalais, dit Mi-chel Leblanc, président et chefde la direction de la Chambrede commerce du Montréal mé-tropolitain (CCMM), l’orga-nisme responsable de l’hom-mage aux Grands Montréalais.Habituellement, nous souhaitonscélébrer les gens de leur vivant,mais parfois, les circonstancesde la vie en décident autrement.Nous avons donc soumis auxmembres de l’Académie l’idéed’honorer Marcel Côté à titreposthume. La réponse a été posi-tive à l’unanimité ! » Il pouvaitdifficilement en être autrement,puisque Marcel Côté était re-connu pour son amour sansbornes pour la métropole et sesefforts inlassables pour en amé-liorer toutes les facettes.

La seule et der nière foisqu’une personnalité a été dé-corée après son décès, c’étaiten 1978, lors de la créationde l ’Académie des GrandsMontréalais . I l s ’agissaitd’Iole Appugliese, une ensei-

gnante d’origine grecque quia travaillé dans un quar tierextrêmement pauvre deMontréal toute sa carrière etqui, malgré tout, a su tirerdes résultats extraordinairesde ses élèves.

Des gens connus… etmoins connus

Les Grands Montréalaissont élus au terme d’un pro-cessus de sélection éclairé etrigoureux, puis d’un vote se-cret tenu entre les académi-ciens. Les individus choisissont souvent connus du grandpublic. C’est le cas d’OliverJones et du Dr Réjean Thomas.Malgré la gloire, le premiern’a jamais oublié Montréal.«On le voit quand il est en spec-tacle ici. On sent qu’il est chezlui », déclare M. Leblanc.Quant au second, « il n’a pas

été aussi honoré qu’il aurait dûl’être», selon le président de laCCMM. « Le Dr Thomas a étécelui qui nous a mobilisés pourlutter contre le sida à uneépoque où cette maladie n’étaitpas à l’avant-plan, fait-il remar-quer. Sa nomination commeGrand Montréalais souligneson rôle déterminant, mais rap-pelle aussi que cette bataille estloin d’être gagnée, comme le dé-montre la réémergence de cer-tains comportements sexuels àrisque chez les jeunes. »

Parmi les Grands Montréa-lais, il y a aussi des travailleursde l’ombre ou des personnali-tés plus réservées dont le tra-vail est non moins important.« C’est aussi à cela que ser tl’Académie : attirer l’attentionsur des individus qui sontmoins célébrés sur la place pu-blique, signale Michel Leblanc.

Je pense entre autres aux scien-tifiques. C’est notre façon de re-connaître la ville de savoirqu’est Montréal et l’excellencede ses chercheurs. » Bartha Ma-ria Knoppers en est un parfaitexemple, selon M. Leblanc,qui la qualifie de «championneplanétaire de l’éthique ». Cettejuriste de renommée interna-tionale et professeure à l’Uni-versité McGill a entre autresmis sur pied la biobanque qué-bécoise CARTaGENE.

Moins connu que les précé-dents Grands Montréalais dansla catégorie économique — onpense notamment à Lise Watieret à Lino Saputo — Alvin Cra-mer Segal reste un homme trèsadmiré dans le milieu des af-faires. Il est président et chefde la direction des VêtementsPeerless Inc., le plus grand ma-nufacturier de vêtements pour

hommes en Amérique duNord. Il est aussi le présidentdu conseil d’administration duCentre Segal des ar ts de lascène. «Ce qu’il a accompli aucours de sa carrière est absolu-ment remarquable, mais il atoujours œuvré dans la discré-tion», dit Michel Leblanc.

La récompense de lapersévérance

Les cinq personnalités intro-nisées verront leur nom s’ajou-ter à la Constellation desGrands Montréalais, créée en2012 à l’occasion des célébra-tions du 190e anniversaire de laCCMM. Installée dans le hallouest du Palais des congrès,du côté du parc Riopelle, lagrande murale interactive estornée de 127 points lumineuxen l’honneur des GrandsMontréalais nommés depuis

maintenant 36 ans. Ils serontbientôt 132.

«Avec le temps, on espère queles Montréalais et les visiteurss’inspireront de ces grandsnoms qui ont contribué à fairede notre métropole ce qu’elle estaujourd’hui et ce qu’elle serademain, déclare Michel Le-blanc. On veut leur montrer ceque peuvent apporter l’audaceet la patience. La réussite denos académiciens est rarementinstantanée. C’est souvent l’œu-vre d’une vie. À une époque oùles gens rêvent d’être célèbres dujour au lendemain, je pensequ’il est nécessaire d’insister surl’impor tance de la persévé-rance. Au bout du compte, c’estce qui permet de véritablementchanger les choses. »

CollaboratriceLe Devoir

LES GRANDS MONTRÉALAIS

Une source d’inspiration pour MontréalL’homme d’affaires Marcel Côté sera honoré à titre posthume

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Les cinq personnalités intronisées verront leur nom s’ajouter à la Constellation des Grands Montréalais, créée en 2012 à l’occasion des célébrations du 190e anniversairede la CCMM. Installée dans le hall ouest du Palais des congrès, du côté du parc Riopelle, la grande murale interactive est ornée de 127 points lumineux en l’honneurdes Grands Montréalais nommés depuis maintenant 36 ans. Ils seront bientôt 132.

GRANDS MONTRÉALAISL E D E V O I R , L E J E U D I 2 0 N O V E M B R E 2 0 1 4C 2

Montréal

Au de sa vieMarcel Côté a offert aux Montréalais sa passion et son talent.Merci!

C L A U D E L A F L E U R

L’ une des priorités de Denis Coderre, c’estbien de redonner à Montréal sa fierté. « Je

le dis et je le répète, lance le maire, on est passé àautre chose, maintenant. Il faut que Montréal re-devienne cette métropole unique, et mon rôle estjustement de repositionner Montréal comme laville extraordinaire qu’elle est, une métropole in-contournable tant sur la scène canadienne, qué-bécoise qu’internationale ! »

Pour cette raison, les Grands Montréalaissont réellement impor tants à ses yeuxpuisqu’ils sont, dit-il, «de par leurs actions, leursréalisations et pour ce qu’ils apportent à Mont-réal », de véritables sources d’inspiration. «LesGrands Montréalais deviennent pour moi desambassadeurs de Montréal, des gens qui mon-trent justement notre fierté, insiste M. le maire.Ils sont motivants, inspirants et contagieux. »

Mais Denis Coderre veut stimuler bien da-vantage la fierté montréalaise, en créant rien demoins qu’un Ordre de Montréal. « Les GrandsMontréalais, c’est quelque chose de très impor-tant pour moi, mais je désire aller plus loin», dit-il. Il veut ainsi créer un Ordre de Montréal, aumême titre que l’Ordre du Québec et l’Ordredu Canada. « Je veux que les Montréalais qui re-cevront cet ordre soient aussi fiers de le porterque la Légion d’honneur», dit-il.

Passion et dévotion pour MontréalEntre-temps, la Chambre de commerce du

Montréal métropolitain (CCMM) et la Ville deMontréal soulignent l’apport remarquable decinq Grands Montréalais. «C’est très importantde célébrer nos Grands Montréalais, insiste De-nis Coderre, de leur dire à quel point noussommes fiers d’eux. »

Ainsi, cette année, la CCMM et la ville font

ressortir la contribution des Grands Montréa-lais que sont Alvin Cramer Segal, président desVêtements Peerless, le grand jazzman OliverJones, Bartha Maria Knoppers, directrice duCentre de génomique et politiques de l’Univer-sité McGill, le Dr Réjean Thomas, de la Cli-nique médicale l’Actuel, et enfin Marcel Côté,économiste et associé-fondateur de la sociétéSecor décédé le 25 mai dernier.

Denis Coderre éprouve d’ailleurs une affec-tion toute particulière pour ce dernier. « Ah,Marcel… commence-t-il par dire. Bien sûr, nousavons été adversaires durant la dernière cam-pagne électorale, mais, sur tout, je voyais trèsbien qu’on avait énormément en commun.»

« Marcel, c’est vraiment quelqu’un qui s’estdonné pour Montréal au fil des ans, poursuit-il. Il incarne la passion et même la dévotionpour Montréal. » Le maire rappelle qu’il répé-tait à la blague que « Marcel avait toujours 25idées, et il y en avait au moins une vraimentextraordinaire ! Il représentait si bien la créati-vité de Montréal ».

Au soir de son élection à la mairie, il y atout juste un an, M. Côté s’est empressé d’ap-peler M. Coderre pour le féliciter. « Je lui aidit, raconte ce dernier : “On va laisser retom-ber un peu la poussière, Marcel, mais je pensequ’on est fait pour travailler ensemble.” Il étaitd’accord. Quelques semaines plus tard, on apris un café ensemble et on s ’est entenducomme larrons en foire. Et on a rapidementmis la main à la pâte. »

C’est ainsi que M. Côté est devenu conseillerdu maire. «Si les choses ont changé à Montréal,explique le maire, c’est justement parce qu’on adémontré une autre façon de travailler : travail-ler ensemble. On peut bien se confronter lorsd’une campagne électorale, mais, poursuit-il, parla suite, on doit tous mettre la main à la pâte

pour le mieux-être de Montréal. »M. Coderre relate avoir «beaucoup, beaucoup

travaillé » avec Marcel Côté, celui-ci rencon-trant son équipe au moins tous les dimanches.L’économiste et fondateur de Secor a notam-ment contribué à la réorganisation administra-tive de la ville — qui vise à éliminer le fonction-nement en silo — et à la performance organisa-tionnelle. «Marcel faisait carrément partie de lasolution !», déclare M. Coderre.

Et puisqu’il s’agit « véritablement d’un êtreexceptionnel » , Marcel Côté sera le seulGrand Montréalais à recevoir cette distinc-tion à titre posthume.

Un Ordre de Montréal« J’ai eu une rencontre avec Michel Leblanc, de

la Chambre de commerce, pour discuter du faitque je veux créer un Ordre de Montréal, annoncele maire Coderre. Je trouve important, à l’occa-sion du 375e anniversaire de la ville, de doterMontréal d’un Ordre, tout comme il y a l’Ordredu Québec et l’Ordre du Canada.»

Pour lui, cette distinction vise à stimuler ceuxet celles qui forment notre société ou qui l’ontfondée, tant sur le plan communautaire, écono-mique, culturel, entrepreneurial, institution-nel… « Il s’agira de saluer de façon concrète nosMontréalais et Montréalaises qui ont façonné no-tre communauté», indique-t-il.

À cette fin, la ville lancera sous peu unconcours de design afin de concevoir unedistinction (une « médaille ») que pourrontpor ter avec fier té ceux et celles qui rece-vront l’Ordre de Montréal. Le maire espèremême que cet ordre sera porté « avec fier té,comme la Légion d’honneur ! Ce sera exacte-ment dans le même esprit », dit-il. En outre, leconcours de design sera l’occasion de mon-trer à quel point Montréal est une ville de

design et de créativité, souhaite-t-il.L’Ordre de Montréal sera probablement ins-

titué en 2016 — « très certainement en 2017 »,précise M. Coderre —, alors que l’année 2015servira à mettre en place la mécanique et lesmodalités. Il s’agira entre autres d’instaurerun jury qui établira des critères précis pourqui se verra décerner l’ordre. « Il ne s’agirapas de : “J’te connais, donc tu auras un or-dre !” », lance Denis Coderre. Il y aura une pro-cédure à suivre et un comité de sélection, pro-met-il, et l’ordre sera octroyé à des personnesvivantes. Le maire envisage également une au-tre façon d’honorer concrètement la mémoiredes bâtisseurs dispar us de Montréal, unesorte de monument commémoratif.

« Il faut célébrer notre appar tenance àMontréal, dit-il fièrement, et se renouveler encréant un Ordre de Montréal pour les Mont-réalais actuels. »

CollaborateurLe Devoir

Un maire fier des Grands MontréalaisJACQUES NADEAU LE DEVOIR

Denis Coderre veut stimuler bien davantage la fierté montréalaise en créant rien de moins qu’un Ordre de Montréal.

Il faut que Montréalredevienne cette métropoleunique, et mon rôle estjustement de repositionnerMontréal comme la villeextraordinaire qu’elle estDenis Coderre

«

»

GRANDS MONTRÉALAISL E D E V O I R , L E J E U D I 2 0 N O V E M B R E 2 0 1 4 C 3

Parmi les milliers de gens extraordinaires qui œuvrent chaque jour à Montréal, certains se distinguent d’unemanière exceptionnelle par leur leadership, leur talent, leur générosité et leur engagement. Ensemble, ils contri-buent au prestige et à la renommée de notre métropole.

En honorant ces Grands Montréalais chaque année, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM)pose un geste qui n’est pas seulement symbolique. Cette initiative contribue à offrir des exemples concrets deréussite qui vont inspirer nos nouveaux créateurs et nos futurs entrepreneurs.

Je suis particulièrement touché par l’hommage posthume qui sera rendu cette année à mon ami et conseillerMarcel Côté, disparu trop rapidement l’été dernier. Son implication et sa grande connaissance de tous les dossiersmontréalais n’étaient surpassées que par son amour pour notre métropole. Il était la définition même d’un GrandMontréalais.

Montréal aura constamment besoin de visionnaires comme Marcel Côté pour se démarquer et réussir dans unmonde toujours plus performant.

Denis CoderreMaire de Montréal

SECTEUR ÉCONOMIQUE

Alvin Cramer Segal, entre vêtements, art et santé

P R O P O S R E C U E I L L I SP A R R É G I N A L D H A R V E Y

Vous avez vu le jour à NewYork en 1933 : quel est le

por trait de votre famille àcette époque?

Ma mère travaillait dans uneboutique de porcelaine et decristal. Mon père et son frèreétaient partenaires d’une petitechaîne d’épicerie. J’ai grandipendant la grande dépression.Avec trois jeunes enfants, unecompagnie et mon père quicombattait des problèmes dedos, cette période était très dif-ficile pour ma famille. Aprèsune opération dorsale, les doc-teurs ont trouvé une tumeurmortelle. Mon père est mort àl’âge de 42 ans. Heureuse-m e n t , m e s d e u x p a r e n t savaient de grandes familles etnous étions souvent avec noscousins, oncles et tantes.

Quels sont les souvenirs impor-tants qui remontent à votre en-fance et à votre jeunesse?

J’ai grandi pendant laDeuxième Guerre mondiale.Étant juifs, nous suivions laguerre de très près. Je me sou-viens des bateaux de guerre,des heures passées à écouter laradio et de toutes les discus-sions autour de ce sujet. Je suisvenu à Montréal à l’âge de14 ans, quand ma mère s’est re-mariée. J’ai toujours été prochede mes deux sœurs, mais cechangement extrême nous arapprochés encore plus. Unefois de plus, en 1956, j’ai perduun parent. Ma mère, qui avaitcombattu le cancer du sein pen-dant deux ans, est finalementdécédée lorsque j’avais 22 ans.

Comment décrire votre par-cours scolaire?

Je n’ai jamais été un étudiantmodèle. Pour m’aider dansmon parcours, ma mère m’aenvoyé dans un pensionnatpour garçons et, après deuxans, je suis revenu à la maison,à Albany, pour y continuermes études. Une fois de plus,j’ai changé d’école lors de no-tre déménagement à Mont-réal ; mes sœurs et moi avonsdû alors reprendre une annéecar le système scolaire était dif-férent au Québec. Mon beau-père et ma mère nous ont ins-crits au Collège Stanstead, unautre pensionnat. J’étais heu-reux car, cette fois, mes sœursétaient avec moi, et mon par-cours scolaire était plus facilecar je connaissais déjà les ma-tières. Je suis aussi devenutrès athlétique lors de ces an-nées à Stanstead.

De quelle façon se sont dérou-lées vos premières expériencesde travail?

Lors de ma dernière annéed’étude, mon beau-père m’a of-fert le choix de commencer àtravailler dans la manufacturede sa compagnie ou de conti-nuer de fréquenter l’école. Ladécision fut très facile à pren-dre et j’ai débuté chez Peer-less à l’âge de 18 ans. J’ai rapi-dement acquis les compé-tences nécessaires pour réus-sir dans le monde des affaireset j’ai joint l’équipe de gestiondans ma vingtaine.

En 1951, vous commencezdonc à travailler chez Peer-less… Comment décrire vos dé-buts et votre cheminement au

sein de cette entreprise dontvous allez devenir le présidentet chef de la direction?

J’ai débuté chez Peerless le20 septembre de cette année-là, le lendemain de mon anni-versaire. Mon beau-père m’aconfié un poste dans la manu-facture de sa compagnie àMontréal. J’ai toujours adoréle travail manuel et je me suisretrouvé dans mon élément.Dès le départ, j’ai adoré ce tra-vail chez Peerless. Il y avait unsentiment de camaraderie par-tout dans la compagnie ; en

fait, plusieurs membres de lafamille Segal y travaillaient.

Durant les premiers mois,j ’ai appris plusieurs opéra-tions dans la manufacture, carje n’avais pas de poste précis.J’ai dû poser un millier dequestions pour bien compren-dre le milieu, les machines ettoutes les opérations. Aprèsquelques années, je suis de-venu responsable de la manu-facture. J’adorais mon travailet j’essayais constamment detrouver des solutions pourhausser la production et dimi-

nuer les coûts. Mon ascen-sion chez Peerless s’est faitgrâce à mes qualités interper-sonnelles et à ma persévé-rance au travail. Lorsque lepartenaire de mon beau-pèreest décédé, il a décidé de ven-dre la compagnie. J’adoraismon travail et je ne voulaispas que l’entreprise changede mains alors j’ai décidé defaire une of fre pour prendrepossession de Peerless.

Quelles sont les décisions ma-jeures que vous avez prisespour conduire l’entreprise versla réussite?

J’ai toujours essayé de resterle plus informé possible dansl’élaboration des politiquesdans mon milieu. J’ai fait partiede plusieurs groupes mis surpied par le gouvernement pouraider l’évolution de l’industriedu vêtement. J’ai toujours suque ce qui était bon pour macompagnie était bon pour lereste de l’industrie.

J’ai tiré avantage de l’accordlibre-échange entre le Canadaet les États-Unis et ce traité aété un tournant pour nous :nous nous sommes lancésdans l’expansion de la compa-gnie à ce moment-là. Aussi, j’aitoujours su que des bons par-tenaires (équipe de gestion,équipe de vente, employés debureau) étaient nécessaires.Au fil du temps, j’ai élargi etenrichi mon équipe avec despersonnes de confiance quiétaient pour la plupart des ex-per ts dans leur milieu. Plu-sieurs de ces personnes sonttoujours avec la compagnie,plus de 15 ou 20 ans plus tard.

Existe-t-il une recette de votresuccès en affaires, plus particu-lièrement sur le plan humain?

J’ai toujours appris en po-sant beaucoup de questions.Je me suis toujours donnécomme but d’apprendre leplus possible et d’êtreconscient de ce qui se passedans mon milieu.

Vous êtes un humaniste et unmécène qui est étroitement as-socié au Centre Segal des artsde la scène et au Centre ducancer Segal de l’Hôpital géné-ral juif… Quels sont les motifsd’un tel engagement envers vo-tre milieu?

G r â c e à m a m è r e e t àm e s g r a n d s - p a r e n t s , j em’étais déjà familiarisé avec laculture ashkénaze yiddish.J’ai toujours aimé cette cul-ture. Je me suis donc engagédans ce domaine ar tistique,en débutant en tant qu’assis-tant sur le plan des costumeset des décors, ce qui m’a per-mis de m’immerger totale-ment dans la communautéyiddish de Montréal. Lorsquele Centre Saidye Bronfmans’est retrouvé en dif ficulté eta été menacé de fermer sesportes, je n’avais qu’une seuleidée en tête : sauver le théâtreyiddish. J’ai donc acquis lecentre dans son intégralitéparce que je me suis alors faitdire : « Si vous voulez sauver lethéâtre yiddish, vous allez de-voir acquérir le centre au com-plet. » J’ai donc pris posses-sion du centre en entier. LeCentre Bronfman est donc de-venu le Centre Segal des artsde la scène et s’est rapide-ment développé au-delà duthéâtre, vers la danse, la mu-sique et le cinéma.

Pour ce qui est de mon im-plication avec l’Hôpital géné-ral juif de Montréal, mon pèreet ma mère sont mor ts ducancer ; pour sa par t, mamère a été traitée à l’Hôpitalgénéral juif. Je dois dire quej’appréhende cette maladiequi a frappé des personnesétant près de moi. J’ai décidéde m’associer à cet établisse-ment pour mieux comprendrecette maladie et pour contri-buer à trouver les solutionspour vaincre le cancer ; cettecause me touche beaucoup.

CollaborateurLe Devoir

Leader de l’industrie du vêtement au Canada depuis quelquesdécennies, Alvin Cramer Segal remplit les fonctions de prési-dent du conseil d’administration et de chef de la direction deVêtements Peerless Inc. : il a occupé divers postes au sein del’entreprise avant d’en prendre possession et de la dirigeravec succès. Humaniste et mécène, il soutient des causesdans les domaines des arts et de la santé.

PEERLESS

Le président du conseil d’administration et chef de la direc-tion de Vêtements Peerless Inc., Alvin Cramer Segal

Fondée en 1919, Peerless est maintenant de-venue, sous la direction d’Alvin Cramer Segal,le plus grand manufacturier de vêtementspour homme en Amérique du Nord. Le GrandMontréalais retrace l’histoire de la compagnieet en dégage les lignes de force.

P R O P O S R E C U E I L L I S P A R R É G I N A L D H A R V E Y

Quel est, dans les grandes lignes, l’historique del’entreprise? Elle a largement évolué depuis vo-tre arrivée… Durant cette période, comment l’in-dustrie et le marché se sont-ils transformés?

Lors de mes débuts dans l’usine en 1951, Peer-less était une compagnie de confection de vête-ments pour homme à bas prix. Nous n’étions pasconsidérés comme étant haut de gamme. Aucours des années, nous avons évolué et changéle mode de fabrication ainsi que le système uti-lisé dans la confection. Dans les années 1970,

nous devions payer les droits et taxes sur les ma-tières premières, même si elles n’étaient pas dis-ponibles au Canada. Je me suis battu car l’indus-trie du vêtement avait besoin d’un accès mondialà ces matières premières pour survivre. J’ai doncdécidé de faire partie de plusieurs groupes dansl’industrie pour pouvoir éliminer ces taxes etdroits et m’assurer de son essor dans le secteurdu vêtement.

Plusieurs facteurs nous ont aidés dans notreascension: l’accord de libre-échange entre le Ca-nada et les États-Unis (ALE) ainsi que l’accord delibre-échange nord-américain (ALENA) sontdeux des éléments majeurs figurant parmi ceux-ci. Les compagnies qui ont su en tirer avantage etqui ont été en mesure de s’adapter à ce nouveaucontexte commercial sont encore présentes surle marché; celles qui n’ont pas pu faire cela ontfermé leurs portes. Par la suite, j’ai procédé à plu-sieurs expansions dans les bureaux à New York,dans mon centre de distribution au Vermont etdans ma manufacture à Montréal. Nous essayonsd’être en phase avec la technologie d’aujourd’huiet nous évoluons avec le marché.

Pouvez-vous énumérer les facteurs dominantsqui ont marqué l’évolution de Peerless et assurésa réussite?

La méthode de confection innovatrice decomplets selon un système d’ingénierie. Lacréation de Vêtement Peerless Inc. afin de per-cer le marché américain. L’entrée en vigueurdu traité de libre-échange entre le Canada etles États-Unis. La création et le développementde notre équipe de vente (Canada et États-Unis). Le développement de notre équipe deservice à la clientèle. L’intégration de systèmesinformatiques permettant à nos équipes defaire des suivis ainsi que la création d’un sys-tème d’inventaire et d’un système de réapprovi-sionnement Instock pour nos clients.

En quoi l’entreprise se distingue-t-elle?Peerless se concentre sur les vêtements pour

homme et garçon. Nous sommes devenus leplus grand manufacturier d’habits pour hommeen Amérique du Nord. Notre gamme complètese retrouve dans la majorité des magasins àgrande surface et boutiques spécialisées des

États-Unis. Nous avons réussi à acquérir un im-pressionnant éventail de marques de créationsmode. Notre équipe a aussi une grande capa-cité d’adaptation.

L’usine de Montréal et le centre de distributiondu Vermont sont deux des pôles majeurs. Qu’est-ce qui les caractérise?

Nous avons comme mentalité de partager l’in-formation avec tous les secteurs et départementsde notre entreprise. Comme cela, notre équipede gestion et le personnel responsable sont aucourant de tout ce qui se passe dans la compa-gnie, peu importe l’usine ou la manufacture.

Quels sont les projets sur lesquels vous planchezà court terme?

En ce moment, je travaille sur ma biographie.J’écris sur mes débuts et ma vie chez Peerless.C’est un projet excitant et j’ai hâte de voir leproduit fini.

CollaborateurLe Devoir

Une place à part sur le marché du vêtement pour homme

GRANDS MONTRÉALAISL E D E V O I R , L E J E U D I 2 0 N O V E M B R E 2 0 1 4C 4

Les scientifiques ayant maintenant cartographié le génome humain, comment pouvons-

nous utiliser cette information de façon responsable? BARTHA MARIA KNOPPERS, professeure à la Faculté de médecine de l’Université McGill, consacre sa carrière à

sensibiliser le public aux enjeux éthiques et juridiques de cette découverte majeure.

À titre de directrice du Centre de génomique et politiques, elle contribue à l’élaboration d’un

cadre de référence mondial qui permettra à ce domaine en émergence de révolutionner

les soins de santé.

FÉLICITATIONS À LA PROFESSEURE KNOPPERS POUR SA NOMINATION, PAR LA CHAMBRE DE COMMERCE DU MONTRÉAL MÉTROPOLITAIN, À TITRE DE GRANDE MONTRÉALAISE DANS LE SECTEUR SCIENTIFIQUE POUR L’ANNÉE 2014.

GRANDE MONTREALAISE AVOCATE EN GENOMIQUE, AU SERVICE DE L’HUMANITE

Débordant d’énergie et d’idées, l’homme d’af-faires décédé il y a quelques mois était de tousles projets et de toutes les batailles pour amé-liorer le sort de la communauté montréalaise.

M A R I E L A M B E R T - C H A N

M arcel Côté aurait sans doute maugréé unpeu à l’idée de recevoir le titre de Grand

Montréalais. «Il ne cherchait pas les honneurs etdemandait même à son entourage de ne pas sou-mettre sa candidature pour des prix», se souvientMichel Leblanc, président et chef de la direc-tion de la Chambre de commerce du Montréalmétropolitain, qui était collègue et ami du grandhomme d’affaires, davantage connu du publiccomme candidat déchu à la mairie de Montréal.Mais voilà, dans les hommages qui ont suivi sondécès le 25 mai dernier, tout le monde oupresque a dit de lui qu’il était «un grand Mont-réalais ». «La communauté lui décernait le titrede facto », remarque M. Leblanc. C’est mainte-nant au tour de l’Académie des Grands Mont-réalais de le faire, cette fois-ci officiellement.

«Marcel aurait sans doute reçu cet honneur enaffirmant qu’il n’avait pas fait tant de choses queça, et même qu’il avait encore beaucoup à faire»,croit Daniel Denis, associé chez SECOR-KPMG. En ef fet, Marcel Côté n’était pashomme à s’asseoir sur ses lauriers. Celui qui afondé et dirigé pendant plus de 30 ans le cabi-net-conseil en gestion SECOR était de tous lesprojets et de toutes les batailles pour améliorerle sor t de la communauté montréalaise. Onconnaissait son implication auprès du YMCA,de la Fondation du Grand Montréal, de l’Or-chestre symphonique de Montréal, de la Com-pagnie Marie Chouinard et des Amis de la mon-tagne. Mais ses engagements étaient beaucoupplus nombreux. «C’est seulement après sa mortque j’ai découvert tout ce à quoi Marcel partici-pait. C’est incroyable, tous les gens qu’il aidaitsans jamais s’en vanter ! », s’étonne encore lachorégraphe Marie Chouinard.

« Avec son entourage immédiat, nous avonstenté dernièrement de dresser la liste de tous lesorganismes dans lesquels il était engagé afin decontinuer à leur donner un coup de main, ra-conte Daniel Denis. Nous n’y sommes pas encorearrivés, car Marcel aidait souvent des gens issusde toutes sortes de milieux sans pour autant que

son rôle ne soit of ficiel. Il était très généreux deses conseils. »

Montréal tatouée sur le cœurSi Marcel Côté se préoccupait tant de la mé-

tropole, c’est qu’il était persuadé que la ri-chesse économique émanait d’abord des villes.En cela, il était fortement influencé par l’urba-niste américaine Jane Jacobs, qui a signé l’ou-vrage Cities and the Wealth of Nations. «Marcelestimait que le développement économique desvilles créait une richesse qui pouvait éventuelle-ment servir à diminuer les inégalités en étant re-distribuée», affirme Daniel Denis.

« Il passait beaucoup de temps à l’extérieur dechez lui, à arpenter la ville à vélo, à assister àdes spectacles, à participer à des événements,poursuit-il. Il habitait réellement Montréal et, cefaisant, il voyait souvent des choses qu’il n’accep-tait pas ou qu’il pensait pouvoir améliorer. Ilcherchait constamment des moyens pour faire ensorte qu’on soit plus riche et créatif sur les plansculturel et social. »

C’est sans doute cela qui l’a poussé à se pré-senter à la mairie de Montréal en 2013. « Biensûr, on ne s’engage pas dans cette joute politique

sans vouloir gagner, reconnaît Michel Leblanc.Mais j’ai l’impression que ce que Marcel souhai-tait par-dessus tout, c’était que ses idées pourl’avenir de Montréal soient entendues sur laplace publique. »

L’antithèse du cynismeJoyeux, curieux, enthousiaste, drôle : Marie

Chouinard ne manque pas de mots pour louan-ger son ami, qui a présidé le conseil d’adminis-tration de sa compagnie pendant 12 ans. « Ilétait toujours en train de rire et de s’amuser, serappelle-t-elle avec un bonheur évident. Il faisaitdix mille choses à la fois, tout le temps. C’était unhomme d’action qui ne tergiversait jamais. Il nes’enfargeait pas dans les fleurs du tapis, et c’étaitd’ailleurs un de ses défauts. Il pouvait dire leschoses crûment, mais c’était impossible de lui envouloir tant il le faisait sans aucune malice.Parce que Marcel était un homme au cœur pur.»

Pour Michel Leblanc, Marcel Côté était l’anti-thèse du cynisme. « Il ne pensait jamais que lesdécisions étaient irrévocables ou prises derrièredes portes closes, et si c’était le cas, il les combat-tait publiquement pour les changer. Selon moi,c’est l’héritage que Marcel nous lègue. » À ce su-

jet, Michel Leblanc se remémore la batailleépique que son ami a menée pour que la nou-vellement fusionnée Abitibi-Consolidated choi-sisse Montréal et non Toronto pour y établirson siège social. «Nous étions en 1996 au lende-main du référendum, remarque-t-il. Le climatétait morose à Montréal et personne ne pensaitque notre ville incarnait l’avenir des sièges so-ciaux. Et pourtant, Marcel s’est battu, et Mont-réal a gagné. Beaucoup ont attribué la reprise dela métropole à cette décision. »

Marie Chouinard, elle, retient le désintéres-sement total de Marcel Côté. « Il ne faisait rienpour se mettre de l’avant. Il tirait ses plusgrandes joies de la satisfaction d’avoir pu aidersa communauté. Je découvre ce plaisir de plus enplus. J’ai créé les Prix de la danse de Montréal ily a quatre ans et j’adore organiser cet événe-ment. C’est quelque chose que je fais pour les au-tres et non pour moi ou ma compagnie. Quandce sentiment m’habite, je fais un petit clin d’œil àmon ami en lui disant tout bas : je comprends tonenthousiasme, Marcel, je comprends…»

CollaboratriceLe Devoir

HOMMAGE POSTHUME

Marcel Côté, le Grand Montréalais de facto

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

Si Marcel Côté se préoccupait tant de la métropole, c’est qu’il était persuadé que la richesse économique émanait d’abord des villes.

À 80 ans, Oliver Jones sesouvient de ses origines mo-destes dans le quartier de laPetite-Bourgogne.

M I C H E L B É L A I R

C’ est assez incroyable,mais il y a déjà 75 ans

que le nom d’Oliver Jones faitpar tie de la vie culturellemontréalaise. Né dans le quar-tier de la Petite-Bourgogne en1934, le pianiste de renomméeinternationale donnait en effetson premier concert à l’âge de5 ans. Pas étonnant donc devoir l’ancien enfant prodigedevenu jazzman octogénaireaccéder aujourd’hui à l’Acadé-mie des Grands Montréalais :s’il y a quelqu’un dont « lesréalisations […] contribuentau développement et à la re-nommée de Montréal », c’estbien lui.

Rencontre avec un hommelumineux.

Une communauté vivanteAu téléphone, i l t ient

d’abord à dire l’honneur et la

fierté qu’il ressent de se voiraccueilli dans ce club sélectdes Grands Montréalais.« Quand on m’a appelé pourm’annoncer ça, dit-il dans soninimitable français de la Pe-tite-Bourgogne, on m’a ditque je succédais au maestroNagano. Wow ! Je suis trèsfier. Puis, j’ai pensé au quar-tier de mon enfance. J’ai revumes parents aussi, qui ont tel-lement travaillé, puis insistépour que j’aille à l’école et queje m’applique. J ’ai pensé àtous les parents de mon quar-tier qui répétaient la mêmechose à leurs enfants… »

À l’époque, dans les années1940, le quartier de la Petite-Bourgogne était devenu und e s q u a r t i e r s l e s p l u s« chauds » de Montréal, on lesait ; de nombreux clubs dejazz s’y étaient implantés à lasuite de la prohibition auxÉtats-Unis et tous les musi-ciens de jazz de haut calibre ysont passés. Mais le jour, laPetite-Bourgogne était unesor te de petit village tournésur lui-même, comme tous lesautres quartiers de la ville. Ilétait habité surtout par des fa-

milles de descendance ita-lienne, par des Canadiens fran-çais, comme on disait encore,« et par à peu près tous lesNoirs de Montréal », et la viecommunautaire y était trèsforte, se souvient Oliver Jones.

« Dans ce temps-là, mes pa-rents me répétaient qu’il n’yavait pas beaucoup de travail :on voyait rarement des poli-ciers noirs, des pompiers noirsou même des serveurs noirsdans les bars et les restaurants.C’est pour ça qu’ils m’ont en-couragé à développer le talentque j’avais pour la musique.Mais dans le quar tier, jeme souviens que tout le mondese parlait et que tout le mondes’occupait des enfants en orga-nisant pour eux et avec euxtoutes sortes d’activités. C’étaitune communauté très vivante.Et c’est un peu ce que j’en airetenu : j ’ai toujours voulufaire pour ma communauté cequ’elle avait fait pour moi. Ilfaut donner une chance auxenfants. Surtout quand ils ontdu talent. Et du talent, il y ena à revendre, ici. »

SECTEUR CULTUREL

Oliver Jones,que des bonnes notes…

VOIR PAGE C 5 : NOTES

FIJM

«Quand on m’a appelé pour m’annoncer ça, dit Oliver Jones dans son inimitable français de la Petite-Bourgogne, on m’a dit que je succédais au maestro Nagano. Wow ! Je suis très fier. »

GRANDS MONTRÉALAISL E D E V O I R , L E J E U D I 2 0 N O V E M B R E 2 0 1 4 C 5

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Hommage à notre ami, un Grand-Montréalais

Marcel Côté1942-2014

Aujourd’hui, Oliver Jonesest toujours fidèle à ses prin-cipes. Un peu comme OscarPeterson et sa sœur DaisySweeny l’avaient fait pour luiquand il était tout jeune, le pia-niste a été le mentor de l’en-fant prodige de formation clas-sique Daniel Clarke Bou-chard. Chaque année, il parti-cipe encore à une bonne quin-zaine de concerts-bénéfice, laplupart pour des organismesqui se consacrent aux enfants.

« À 80 ans, je tourne beau-coup moins qu’avant : je passel’hiver en Floride à travaillersur des projets. Aucours des dernièresannées, j’en ai aussiprofité pour participerà quelques festivals enSuisse et en Espagne.C’est tout. Je me sou-viens que durant les16 années où mongroupe était basé àPor to Rico, on pou-vait faire jusqu’à300 000 milles [prèsde 500 000 km] parannée, c’est fou ! Au-jourd’hui, je suisbeaucoup plus calme :je donne autour de 75concer ts par année.Sur tout avec deuxmusiciens extraordi-naires, Éric Lagacé,un grand contrebas-siste, et Jim Doxas, un merveil-leux batteur : ils s’occupent biendu vieux que je suis devenu »,dit-il en éclatant de rire.

Un monde plus ouvertLe nouveau Grand Montréa-

lais est intarissable quand ilparle du quar tier de son en-fance. « Je n’y habite plus depuislongtemps, mais quand on s’ypromène, on voit bien que laPetite-Bourgogne a beaucoupchangé, dit-il. Pas seulement àcause des maisons ou des voiesrapides. Quand j’étais jeune, ily avait beaucoup de Noirs dansle quartier ; aujourd’hui, c’estcomplètement différent. »

Oliver Jones estime que sonancien quartier, tout comme laville entière, est plus ouvertque lorsqu’il y habitait avecses parents. Il parle d’une am-biance plus «cool ». Du fait quetout est moins limité, moinscodé, plus facile jusqu’à uncertain point. Il faut dire quel’on trouve maintenant partout

des policiers, des pompiers ettoutes sortes d’employés à lapeau noire, jaune, blanche,brune ou rouge…

Revenu s’installer ici dansles années 1980 grâce surtoutà son ami Charlie Biddle et àson producteur Jim West, Oli-ver Jones a connu la carrièrefulgurante que l’on sait, mais ilparle avec enthousiasme de latransformation qui s’est opé-rée ici durant son absence.

« Dans la Petite-Bourgognecomme partout dans la ville, ily a maintenant des gens de par-tout, qui viennent d’autres cul-

tures. Les enfants duquar tier ont accès àplein de choses que jen’ai connues moiqu’en voyageant à tra-vers le monde, beau-coup plus tard dansma vie. C’est dif férentet j’aime ça. […] Il ya de la place pourbeaucoup de monde,ici, et plein d’occa-sions et de chancespour tout le mondeaussi. Tout n’est pastoujours parfait, c’estsûr. Mais plus on vaaider les enfants et lesjeunes de la commu-nauté, mieux ça va al-ler. C’est ce que j’es-saye de faire en remet-tant à la communauté

ce qu’elle m’a donné. C’est çaque mes parents voulaient. »

Sur la même lancée, le pia-niste affirme aussi qu’il faut per-mettre à la relève de prendreplus de place. Il fait appel le plussouvent possible à de jeunesmusiciens pour ses concerts ouses disques — comme la jeunevioloniste Josée Aidans, avec la-quelle il a gagné un des 11 Félixde sa carrière pour l’album JustFor My Lady en 2013.

C’est d’ailleurs sur son pro-chain disque, le 26e qui devraitparaître à l’été 2015 chez Jus-tin Time, que l’entrevue se ter-mine. Le nouveau GrandMontréalais y travaille depuisquelque temps et, en primeur,il nous dévoile qu’il s’agirad’un « disque de musique ro-mantique avec des grandescordes. J’adore les cordes. Çapourrait s’appeler Oliver ForLovers. Pas mal, non?»

CollaborateurLe Devoir

SUITE DE LA PAGE C 4

NOTES

Le pianisteaffirme aussiqu’il fautpermettre à la relève deprendre plusde place. Ilfait appel leplus souventpossible à de jeunesmusiciens

Comme partout ailleurs en Amérique, à Mont-réal l’histoire du jazz est intimement liée àl’histoire des Noirs, et l’histoire des Noirs estindissociable de l’histoire de la Petite-Bour-gogne, ce quartier populaire qui a vu naîtreOscar Peterson et Oliver Jones, et qui pen-dant près de cinquante ans a porté le nom deHarlem du Nord.

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

D izzy Gillespie, Billie Holiday, Cab Callowayet Duke Ellington : ils venaient tous jouer

et chanter à Montréal avec le plus grand desplaisirs, que ce soit au Rockhead’s Paradise, auCafé St-Michel ou au Terminal Club… C’étaitbien avant le Festival de jazz, bien avant la télé-vision ; c’était à l’époque où les gens sortaientdans les boîtes, que ce soit le lundi ou le sa-medi soir, c’était l’âge d’or du jazz.

La cité des porteursAu milieu des années 1800, Montréal devient

une ville industrielle, la plus grande au Canada.Des immenses usines qui longent le canal La-chine entrent et sor tent des kilomètres devoies ferrées et au bout de ces rails se dressentdes gares : la gare Bonaventure (1847) et lagare Windsor (1889). Entre ces voies, onconstruit de modestes maisons d’ouvriers, etpeu à peu la zone devient un quartier : la Petite-Bourgogne, bordée à l’est et à l’ouest par lesrues Windsor, Atwater, et au nord et au sud parles voies ferrées.

Située entre deux gares, la Petite-Bourgogneaccueille les travailleurs noirs des chemins defer. Dès la fin des années 1800, victimes de ra-cisme, ils arrivent des États-Unis, où il n’y a pasde travail pour eux. Ici aussi, le racisme est pré-sent, et les seuls à embaucher les Noirs sontles compagnies de chemins de fer. Ils s’enga-gent donc comme porteurs ; c’est un travail dif-ficile et éreintant et où on ne dort pas beau-coup, mais c’est tout de même mieux que toutce qu’ils peuvent trouver ailleurs. Les fils n’ontpas voulu suivre les traces de leur père et cer-tains deviendront musiciens.

La prohibitionDe 1920 à 1933, on interdit la vente et la

consommation d’alcool aux États-Unis. Au Ca-nada, des lois prohibitionnistes sont aussi vo-

tées dans les provinces, mais au Québec la pro-hibition n’aura duré que trois semaines, letemps qu’on révoque la loi. La population amé-ricaine n’avait d’autre choix que de passer lafrontière pour étancher sa soif. Les bars new-yorkais ferment les uns après les autres, met-tant au chômage leurs meilleurs musiciens. Cen’est pas long avant que ceux-ci ne débarquentà Montréal, où on les accueille à bras ouverts.La réputation de Montréal grandit de soir ensoir et la ville devient rapidement la capitale dela fête en Amérique du Nord.

À Montréal, et par ticulièrement dans lesboîtes de jazz, l’alcool coule à flot et certainstouristes en profitent pour en ramener auxÉtats-Unis, et un commerce autant lucratifqu’il légal se met en place entre les deuxpays. Il n’y a pas que Samuel Bronfman qui afait fortune avec la contrebande, il y a aussiRufus Rockhead.

Cet ancien por teur a fait for tune en trafi-quant de l’alcool pour Al Capone. En 1928, ilachète dans la Petite-Bourgogne la MountainTavern, qui se dresse au coin des rues Saint-Antoine et de la Montagne. Rapidement, iltransforme les deuxième et troisième étages encabaret, et même si à l’époque il est impossiblepour un Noir d’obtenir un permis d’alcool,Rockhead fait appel à des amis bien placés etdevient le premier Noir de Montréal à obtenirsa licence. Après trois ans, la Mountain Taverndevient le Rockhead’s Paradise.

Le Rockhead’s Paradise et le Café St-Michel

Rufus Rockhead est un personnage et il gèreson entreprise avec beaucoup de poigne. Trèssélectif, il n’embauche que les meilleurs musi-ciens locaux pour faire partie de son orchestreuniquement composé de Noirs. Sur sa mar-quise, les grands noms défilent : Duke Elling-ton, Louis Armstrong, Billie Holiday, Ella Fitz-gerald, Nina Simone et Dizzy Gillespie.

Tout juste en face se trouve le Café St-Mi-chel, autre lieu mythique de la scène jazz mont-réalaise. C’est ici que tous les soirs on peut en-tendre Louis Metcalf, un ancien trompettiste del’orchestre de Duke Ellington qui fait mainte-nant résonner le be-bop dans le downtown deMontréal. C’est ici aussi qu’on entendra pour lapremière fois Oscar Peterson, Charlie Biddleet, quelques années plus tard, Oliver Jones…

C’est vrai qu’à l’époque on avait aussi un up-town. Les boîtes de jazz qu’on y trouvait por-taient les noms de El Morroco, le Cabaret

Montmartre et Chez Aldo. Si les Charlie Par-ker, Cab Calloway et Jimmy Dorsey s’y produi-sent, ceux-ci s’empressent de rouler vers ledowntown pour finir au Rockhead ou au Café St-Michel, là où ils joueront une grande partie dela nuit.

Une époque sombreArrivent les années 1950 et 1960, où la popu-

larité du jazz est en chute libre. Par unconcours de circonstances, de nombreuses rai-sons font en sorte que les légendaires clubs fer-ment leurs portes les uns après les autres.

Tout d’abord, en 1952, une invention trans-formera à jamais le quotidien des Québécois : latélévision. Avec son arrivée dans les salons,plus question de quitter son fauteuil, les gensrestent à la maison.

Puis en 1954 arrive à la mairie de Montréal uncertain Jean Drapeau. En compagnie de Pax

Plante, qu’il nomme chef de l’escouade de lamoralité, ils procéderont au nettoyage de la villeet appliqueront la loi du cadenas. La plupart desboîtes ne résisteront pas. Les temps changent etles modes aussi. Les années 1950 ont vu appa-raître de nouvelles formes de musique, lerock’n’roll, le rhythm’n’blues, et plus tard, lesoul et le disco viendront damer le pion au jazz.

Aujourd’hui, il existe bien encore quelquesendroits où écouter du jazz, mais ce n’est riende comparable avec la belle époque où la villerésonnait aux notes de cette musique. L’âged’or est bel et bien terminé et aujourd’hui, avecle Festival international de jazz de Montréal, onpeut au moins deux semaines par an remonterle temps et revenir pour une soirée dans le Har-lem du Nord.

CollaboratriceLe Devoir

Un enfant du «Harlem du Nord»

GESTION DES DOCUMENTS ET DES ARCHIVES-UNIVERSITÉ CONCORDIA

Le Café St-Michel, autre lieu mythique de la scène jazz montréalaise. Ci-dessus l’International Bandde Louis Metcalf en 1947.

GRANDS MONTRÉALAISL E D E V O I R , L E J E U D I 2 0 N O V E M B R E 2 0 1 4C 6

Directrice du Centre de génomique et politiques de l’Univer-sité McGill, Mme Bartha Maria Knoppers est reconnue à tra-vers le monde pour son expertise en bioéthique. NomméeGrande Montréalaise le 20 novembre dernier, elle est la pre-mière femme juriste à recevoir l’hommage dans la catégoriescientifique.

E M I L I E C O R R I V E A U

«C’ est fantastique d’être nommée dans cette catégorie,souligne Mme Knoppers. Le docteur Réjean Thomas,

lui, est dans la catégorie sociale. Pour moi, c’est quelque chose detrès réjouissant ! Ça signifie qu’on reconnaît que l’on peut traver-ser les frontières disciplinaires et contribuer à un domaine donné,même si notre savoir ne fait pas traditionnellement partie de l’en-seignement de celui-ci. »

À l’image de sa nomination dans la catégorie scientifique plu-tôt que sociale, le parcours de Mme Knoppers n’a rien de tradi-tionnel. Ayant d’abord choisi la poésie surréaliste et contesta-taire comme sujet d’études, ce n’est qu’après une maîtrise en lit-térature comparée à l’Université d’Alberta qu’elle s’est intéres-sée au droit.

« Ce que j’aimais particulièrement de la poésie que j’étudiais,c’est qu’il s’agissait d’un outil de réforme sociale, note Mme Knop-pers. Sachant que je n’allais pas être poète malgré les désirs de mamère, le droit m’apparaissait comme un domaine qui allaitme permettre de me réaliser au plan du changement social. Alorsje me suis inscrite à McGill. »

Sans savoir qu’elle serait autant intéressée par le domaine,l’étudiante choisit dès sa première année un cours de droit mé-dical optionnel : « Je me rappelle très concrètement d’un devoir quiposait la question suivante : peut-on ef fectuer une chirurgie surune personne, donc porter atteinte à l’intégrité de celle-ci, pour luiretirer quelque chose qui pourrait constituer un élément de preuvedans une cause pénale?»

Il n’en fallait pas plus pour que sa curiosité soit piquée. Dèsl’année suivante, Mme Knoppers a commencé à tracer son che-min pour se spécialiser en droit médical. Pour ce faire, elle a no-

tamment mené une série d’entretiens avec le docteur Jacques-Émile Rioux de l’Université Laval afin de savoir ce qui se faisaiten recherche. Elle a également réalisé des entrevues avec ledocteur Claude Laberge, pour être au fait de ce qui avait coursdans le domaine du dépistage des nouveau-nés, ainsi qu’avec legénéticien Clarke Fraser pour discuter de génétique.

Confirmant son intérêt pour la bioéthique, ces rencontres ontmotivé Mme Knoppers à poursuivre ses études à Paris. Elle y adonc fait un doctorat en Droit comparé sur la responsabilité ci-vile des médecins et les technologies de reproduction, puis s’estensuite dirigée vers Cambridge en Angleterre pour entamer unpost-doctorat sur la question.

Une riche carrièreDepuis la fin de ses études, Mme Knoppers mène une proli-

fique carrière universitaire. En une trentaine d’années d’exer-cice, elle s’est intéressée à une foule d’enjeux relatifs à la bioé-thique, ses sujets de prédilection étant les biobanques, les cel-lules souches, le clonage, les biotechnologies humaines, la re-cherche en génétique des populations, la reproduction assistée,le dépistage néonatal, la pharmacogénomique, les maladiesrares et le devenir de la santé publique.

Parmi ses plus importantes réalisations, notons qu’elle a pré-sidé dans les années 1990 le Comité d’éthique international de laHuman Genome Organization (HUGO) et qu’elle a été membredu Comité de bioéthique international de l’UNESCO, lequel arédigé la Déclaration universelle sur le génome humain et lesdroits de l’Homme.

Dans le même esprit, de 2006 à 2008, elle a été titulaire de laChaire d’excellence Pierre de Fermat à Paris. Puis, en 2007, ellea mis sur pied le Projet public de génomique des populations(P3G) ainsi que la biobanque québécoise CARTaGENE, qui ras-semble les échantillons biologiques de plus de 20 000 personnes.

En plus d’être aujourd’hui directrice du Centre de géno-mique et politiques de l’Université McGill et titulaire de laChaire de recherche du Canada en droit et médecine, elle estégalement présidente du groupe de travail sur l’éthique du Fo-rum international sur les cellules souches, présidente du Re-gulatory and Ethics Working Group, coprésidente de l’Interna-tional Samples/ELSI Committee (1000 Genomes Project) et

membre du comité de direction de la Global Alliance for Geno-mics and Health.

Signe que Mme Knoppers est très appréciée, la bioéthiciennene compte plus les prestigieuses distinctions ni les doctorats ho-norifiques. En 2001, elle s’est mérité le prix Jacques-Rousseaude l’ACFAS, prix soulignant l’interdisciplinarité et reçu un docto-rat Honoris Causa en droit de l’Université de Waterloo. En 2002,elle a obtenu un doctorat Honoris Causa en médecine de l’Uni-versité de Paris V, a été nommée Fellow par l’Association améri-caine pour l’avancement de la science, sélectionnée comme unedes cinquante Nation Builders au Canada par le Globe and Mailet nommée Officière de l’Ordre du Canada. En avril 2005, elle aété nommée Fellow par la Canadian Academy of HealthSciences (CAHS). L’année suivante, elle s’est mérité le titre degouverneure de la Fondation du Barreau du Québec, puis en2007, a été désignée Avocate émérite par l’institution. En 2007également, l’Université de McMaster lui a remis un doctorat Ho-noris Causa en droit et en 2008, ce fut au tour de l’Université del’Alberta de lui en offrir un. En 2012, son incomparable parcourslui a valu le titre d’officière de l’Ordre national du Québec et en2013, elle s’est vue remettre le prix Montréal InVivo : secteurdes sciences de la vie et des technologies de la santé en plusd’être nommée «championne de la génétique» par la Fondationcanadienne Gène Cure.

Malgré tous les prix reçus au cours de sa car rière,Mme Knoppers signale qu’être nommée Grande Montréalaiseconstitue un honneur important à ses yeux : « On dit que nuln’est prophète en son pays. Être estimée chez soi, ça a une valeurparticulière. Pour moi, c’est un grand honneur que d’être recon-nue pour mon apport à la communauté à laquelle j’appartiens !J’en suis vraiment très heureuse ! »

CollaboratriceLe Devoir

SECTEUR SCIENTIFIQUE

Bartha Maria Knoppers, un parcours non traditionnel

IAN BARRETT LA PRESSE CANADIENNE

La génomique est l’étude de l’ensemble des gènes portés par les chromosomes de l’espèce.

E M I L I E C O R R I V E A U

D es 25 Grands Montréalaissalués pour leur appor t

scientifique depuis 1978, 13ont mené leurs études oupoursuivi leur carrière à l’Uni-versité McGill. Mettant en lu-mière l’ampleur de la contri-bution de l’institution au déve-loppement de la métropole,cette imposante représenta-tion témoigne également desa stature dans le domaine dela recherche.

Fondée en 1821 grâce aulegs d’un riche marchandécossais, James McGill, l’Uni-versité McGill fut le premierétablissement universitaire àvoir le jour à Montréal. Mo-deste collège à l’origine, l’insti-tution compte aujourd’hui prèsde 300 édifices répar tis surdeux campus ainsi que quatrehôpitaux d’enseignement, soitl’Institut universitaire en santémentale Douglas, le Centreuniversitaire de santé McGill,l’Hôpital général juif et le Cen-tre hospitalier de St. Mar y.Dans ses 11 facultés, elle pro-pose plus de 300 programmesd’études et accueille 37 500étudiants provenant de 150pays différents.

Réputée mondialement pourl’excellence de ses pro-grammes, McGill s’af fichecomme la principale universitéde recherche au Canada. Ilfaut dire que l’institution mont-réalaise mène des activités derecherche dans nombre de do-maines et que depuis sa fonda-tion, plusieurs membres deson corps professoral ont mar-qué l’histoire par leurs per-cées scientifiques.

Comptant dix Prix Nobelparmi ses professeurs et sesanciens étudiants, McGill estl ’université canadienne encomprenant le plus grandnombre. La gamme de leursappor ts inclut la théorie dutransfert électronique, des tra-vaux précurseurs sur la per-ception visuelle, la technolo-gie sous-jacente aux capteursdes appareils photo numé-riques, la découverte du dis-positif grâce auquel le corpshumain protège son code gé-nétique, les hormones et l’in-teraction des particules ainsique la découverte des cellulesdendritiques dont les voies designalisation immunitairecommandent et activent la ré-ponse immunitaire.

«Si on parle de ce qui se faitaujourd’hui chez nous, noschercheurs sont très actifs dansun vaste éventail de disciplines,signale Mme Rose Goldstein,vice-principale à la rechercheet aux relations internatio-nales de l’Université McGill.Beaucoup de choses intéres-santes se font en chimie verte,en environnement, en climato-logie, en nanotechnologie, engénomique et protéomique, enalimentation et en neuros-cience, par ticulièrement ducôté du développement de l’en-fant et de l’imagerie cérébrale. »

Plusieurs chercheurs deMcGill sont considéréscomme des sommités inter-nationales dans leur domaineet s’avèrent particulièrementen vue sur la scène scienti-f ique pour l ’originalité deleurs travaux.

« C’est par exemple le cas duchercheur Michael Meany, qui

est reconnu pour ses réalisa-tions en biologie du développe-ment de l’enfant, relèveMme Goldstein. Son travailporte sur l’impact de l’environ-nement sur le développementcérébral. Il est parvenu à iden-tifier que l’environnementjouait un rôle dans la modifica-tion de l’expression génétiquequi règle le comportement et ledéveloppement chez l’enfant. Ily a aussi M. Alan Evans, quimène des travaux sur la ques-tion de l’imagerie cérébrale etqui est considéré comme l’undes chercheurs les plus proli-fiques au monde ! Il y a plu-sieurs autres exemples commeceux-là. »

Un positionnementenviable

Dans les divers palmarèsdes meilleures universités, laqualité des travaux de re-cherche menés à McGill se re-flète dans les résultats qu’ob-tient l’institution montréalaise.Par exemple, depuis une dé-cennie, McGill est considéréecomme la meilleure universitéau Canada selon le populairehebdomadaire Maclean’s. Ellefigure également au 21e rangde l’édition 2014 du palmarèsQS des meilleures universitésau monde, tout juste derrièrel’Université de Toronto.

« En octobre dernier, McGilla aussi été désignée par Re-search Infosource comme lameilleure université cana-dienne en recherche au plan dela collaboration internationaledans la catégorie médicale/doc-torat. Elle a aussi été nomméepar la même organisationcomme la seconde institution

au palmarès des meilleuresuniversités canadiennes pourson impact global dans la caté-gorie médicale/doctorat. Celasignifie que l’université s’estpar ticulièrement démarquéetant du côté des revenus de re-cherche que de la quantité d’ar-ticles publiés par ses chercheursdans des publications scienti-fiques impor tantes. Finale-ment, dans le domaine dessciences humaines, nous arri-vons au premier rang des uni-versités canadiennes au plan del’intensité de la recherche », in-dique Mme Goldstein.

Conserver son statut depionnière

Afin de maintenir sa placedans les hautes sphères dumonde académique, McGillmet de l’avant toutes sor tesd’initiatives. Elle s’efforce no-tamment de multiplier ses par-tenariats non seulement avecdes universités québécoises,mais également avec des éta-blissements par tout dans lemonde entier.

« Par exemple, nous collabo-rons étroitement avec l’Univer-sité d’Oxford et l’Université deZurich pour unir nos ef forts enmatière d’imagerie cérébrale etde neuroscience, particulière-ment en ce qui a trait à l’étudedes troubles dégénératifs cogni-tifs. Nous sommes convaincusqu’ensemble, nous sommesmieux placés pour obtenir desrésultats probants », af firmeMme Goldstein.

Dans le même esprit, la vice-principale à la recherche sou-ligne que l’université veille àcréer chaque jour davantage departenariats avec la commu-

nauté et les entreprises locales :«Nous voulons que notre savoirserve encore plus aux Montréa-lais et aux Québécois, que nosrecherches permettent d’appor-ter des solutions tangibles auxproblèmes qu’ils vivent».

En s’employant à délesterses chercheurs de leur pape-rasse pour qu’ils puissent seconcentrer davantage surleurs travaux, McGill déploieaussi beaucoup d’efforts pourque ses professeurs et étu-diants aient plus facilement ac-cès à du financement et res-tent à l’avant-plan de la re-cherche scientifique.

«On le sait tous, obtenir du fi-nancement en recherche devientde plus en plus en plus complexe,commente Mme Goldstein. Nousavons donc prévu plusieurs me-sures pour pouvoir soutenir en-core plus nos chercheurs.»

Parmi elles, notons la créa-

t ion d’ ic i 2016 d’un fondsdest iné à f inancer des re-cherches par ticulièrementinnovatrices et originales.« Plusieurs bri l lants cher -cheurs ont d’excellentes idéesde recherche, mais n’ont pasles données nécessaires pourprouver que leur pis te es tplausible, indique Mme Gold-stein. C’est pratiquement im-possible d’obtenir du finance-ment pour ce type de travauxparce qu’il s’agit d’investisse-ments risqués. Nous croyonsque c’est un manque impor-tant du système et noussommes prêts à investir poursupporter les idées novatricesde nos chercheurs. Parcequ’après tout, ce dans quoiMcGill excelle, c’est l’innova-tion et la créativité ! »

CollaboratriceLe Devoir

L’UNIVERSITÉ MCGILL

Terreau fertile pour la recherche

JACQUES GRENIER LE DEVOIR

L’Université McGill est à la pointe de la recherche universitaireau Canada.

ACFAS

Directrice du Centre de génomique et politiques de l’Univer-sité McGill, Bartha Maria Knoppers

GRANDS MONTRÉALAISL E D E V O I R , L E J E U D I 2 0 N O V E M B R E 2 0 1 4 C 7

Réjean Thomas, médecin en quête de dépassement

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

«J’ai des patients que je suis depuis 25 ans. Ils ont appris qu’ils avaient le VIH, au début des années 80. Ils sont passés à traverstoutes les étapes ; ils étaient convaincus qu’ils allaient mourir, ils ont essayé la trithérapie, et là, ils vont encore bien. Ils n’avaientjamais imaginé pouvoir prendre leur retraite ! »

Début des années 80, à Montréal. Une nouvelle maladie in-connue fait son apparition auprès de certaines communautés,comme les homosexuels et les Haïtiens. «Cette maladie, on enmeurt. Les médecins ne savent ni quelle en est la cause, ni com-ment la guérir », constatait le journaliste de Radio-CanadaPierre Maisonneuve, en 1983.

SIDA À MONTRÉAL

Améliorationsmédicales et reculs sociaux

V I C K Y F R A G A S S O -M A R Q U I S

«Moi, j’ai fait mes étudeset le sida n’existait

pas », a rappelé le Dr Thomas,en entrevue téléphonique.Fraîchement diplômé, le jeunemédecin d’origine acadiennes’est d’abord consacré à la mé-decine familiale traditionnelleà Rimouski.

« J’ai fait des accouchements,des soins à domicile. J’ai faittoutes sortes de choses », s’est-ilsouvenu. Il a apprécié l’expé-rience, mais il se sentait trop àl’étroit dans la petite ville. Ce-lui qui avait grandi dans unrang à Tilley Road, au Nou-veau-Brunswick, a débarqué àMontréal, tout juste avant quela maladie ne commence sesravages.

Dès 1982, le Dr Thomass’est intéressé à la question enpar ticipant au Comité-SIDA,instauré par le gouvernementdu Québec pour étudier la ma-ladie. C’est deux ans plus tardque, du haut de ses 29 ans, il afondé la clinique l’Actuel, spé-cialisée dans les infectionstransmissibles sexuellement,avec ses collègues MichelMarchand, Sylvie Ratelle etAlain Campbell.

Il précise que la cliniquen’était pas destinée à devenirle centre névralgique de lalutte contre le sida à Montréal.« On ne pensait pas que le sidadeviendrait si important », a-t-ilindiqué.

Début de la lutteLorsque le sida s’est bien

implanté dans la ville, toute-fois, le médecin a commencéà prendre part au débat public,notamment parce qu’il était in-vité par plusieurs médias quivoulaient en savoir davantagesur la maladie. « Il y avaitbeaucoup d’éducation à faire »,a-t-il remarqué.

Il avoue que la bataillecontre la maladie a été dif fi-cile par moments, bien qu’ilfût motivé par le « défi » médi-cal et social. Au début des an-nées 90, il a atteint un creux,découragé de voir tant de ma-lades qui ne pouvaient pas en-core être traités.

«C’est là que j’ai été étudier enphilosophie, pour essayer de pren-dre du recul», a-t-il expliqué.

Missions internationalesL’engagement du Dr Tho-

mas a pris une autre forme

dans les années 90, alorsqu’il a été invité à participer àdes missions internationales.Ces voyages auprès de popu-lations vulnérables semblentlui avoir insuf f lé une nou-velle motivation pour conti-nuer. Il s’est rendu notam-ment en Haïti, au Zimbabweet en Afghanistan.

« On rencontre des êtres hu-mains et c’est ça qui est extraor-dinaire. Ils sont motivés, pas-sionnés, malgré de si grandesembûches. Ça peut juste nousencourager à nous dépasser», a-t-il analysé.

Ces expériences formatricesl’ont amené à fonder Médecinsdu monde Canada, en 1999.

Dr Thomas parle avec émo-tion d’un projet qu’il avaitmené à Cité Soleil, un desquartiers les plus pauvres dela capitale haïtienne, où desfemmes enceintes atteintes duVIH recevaient des traite-ments pour ne pas transmettrele virus à leur enfant.

« Après cinq ans, ils m’ontinvité, et là, dans la salle, il yavait une soixantaine defemmes avec autant d’enfants,qui avaient toutes participé àce projet-là. Et il n’y avait au-cun enfant qui avait le VIHdans le groupe », a-t-il racontéfièrement.

Cela ne l ’empêche pasd’être valorisé dans son travailaussi lorsqu’il soigne chacunde ses patients, avec lesquelsil a une relation privilégiée.« Les gens nous racontent leurvie. Par fois, on est la seulepersonne au monde quiconnaît tout de leur vie. Et çacrée un contact assez spécial »,a-t-il expliqué.

« J’ai des patients que je suisdepuis 25 ans. Ils ont apprisqu’ils avaient le VIH, au dé-but des années 80. Ils sont pas-sés à travers toutes les étapes ;ils étaient convaincus qu’ilsallaient mourir, ils ont essayéla trithérapie, et là, ils vontencore bien. Ils n’avaient ja-mais imaginé pouvoir prendreleur retraite ! »

Le médecin de 59 anscompte travailler encore plu-sieurs années. Un engage-ment qu’il souhaite apolitiquepour l’instant. « On peut s’en-gager socialement, sans entreren politique, et pour le mo-ment c’est ce qui m’intéresse »,a-t-il conclu.

CollaboratriceLe Devoir

« J’ai toujours vu la médecine comme un outil de transformationsociale », confie le Dr Réjean Thomas. Très jeune, il s’est en-gagé dans la cause de la lutte contre le sida, même s’il n’avaitpas prévu parcourir tout ce chemin lorsqu’il est sor ti del’école, en 1979.

V I C K Y F R A G A S S O -M A R Q U I S

A u Québec, les premierscas ont été recensés

chez des Haïtiens. Selon undocument du ministère de laSanté du Québec, cette popu-lation est celle demeurée laplus touchée jusqu’en 1984au Québec. Viviane Namaste,titulaire de la Chaire de re-cherche sur le VIH/Sida etde la santé sexuelle de l’Insti-tut Simone de Beauvoir, àl’Université Concordia, rap-pelle d’ailleurs que plusieursHaït iens de Montréal ontsouffert de cette éclosion dela maladie.

«Des Haïtiens ont perdu leuremploi, ont été expulsés de leurmaison et ont été traités desales étrangers », a écritMme Namaste, dans une lettreouverte publiée dans le quoti-

dien La Presse.Pourtant, les premiers cas

de la maladie ont été recen-sés en 1981, aux États-Unis,chez des hommes homo-sexuels. Ces personnesavaient été diagnostiquéesavec des maladies rares, s’at-taquant à leur système immu-nitaire. « Un cancer rare re-marqué chez 41 homosexuels »,titrait le New York Times enjuillet 1981. Le sida, qui n’apas porté ce nom avant 1982,était alors surnommé le « can-cer gai », puisqu’il n’avait étéobservé que chez les popula-tions homosexuelles.

Selon le ministère de laSanté, le Québec a d’ailleursconnu une deuxième vague,au milieu des années 80, quia af fecté davantage leshommes homosexuels. Les

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GRANDS MONTRÉALAISL E D E V O I R , L E J E U D I 2 0 N O V E M B R E 2 0 1 4C 8

CINQ NOUVELLES ÉTOILES REJOIGNENT LA CONSTELLATION DES GRANDS MONTRÉALAIS

Coprésenté par : En collaboration avec :Présenté par :

La Chambre félicite ces personnalités montréalaises qui constituent un exemple pour tous et témoignent d’un apport exceptionnel au prestige de notre ville.

ALVIN CRAMER SEGALPrésident du conseil d’administration et chef de la direction Vêtements Peerless inc.

SECTEUR ÉCONOMIQUE

OLIVER JONESAmbassadeur du jazz

SECTEUR CULTUREL

BARTHA MARIA KNOPPERSProfesseureDirectriceCentre de génomique et politiquesFaculté de médecineDépartement de génétique humaineUniversité McGill

SECTEUR SCIENTIFIQUE

DR RÉJEAN THOMASFondateur, président-directeur généralClinique médicale l’Actuel

SECTEUR SOCIAL

MARCEL CÔTÉAssocié fondateur

SECOR inc.

SECTEUR ÉCONOMIQUE

Honoré à titre posthume

Découvrez tous les Grands Montréalais honorés depuis 1978 : ccmm.qc.ca/grandsmontrealais

exper ts ont aussi remarqué une augmenta-tion des cas chez les toxicomanes au coursde cette période.

La peur de l’inconnuLa nouvelle maladie, peu connue, a suscité ce

que le journaliste scientifique Fernand Séguina appelé à l’époque une «crainte collective», sur-tout parce qu’on n’en savait encore que peu surses modes de transmission. « Même les méde-cins qui s’occupaient du sida étaientstigmatisés », constate le Dr Réjean Thomas.

Cette peur est alimentée par le fait que la ma-ladie était par ticulièrement foudroyante.«Quand on annonçait le diagnostic à un patient,la durée de la survie était de un à deux ans. Laplupart de nos patients mourraient ou allaientmourir», a raconté Dr Thomas.

En 1984, il y a quarante ans cette année, qua-tre médecins montréalais, Réjean Thomas, Mi-chel Marchand, Sylvie Ratelle et Alain Camp-bell, ont décidé de fonder la clinique l’Actuel.Elle deviendra un centre important, tant pourdévelopper les connaissances sur la maladieque pour la dépister et traiter les patients at-teints.

À la fin des années 80 et au début des années90, les médecins et leurs patients ont traverséune période plus difficile. Les cas augmentaient

toujours plus, et les traitements étaient encoretrop coûteux et peu efficaces.

« Dans les années 90, la première cause demor talité chez les hommes du centre-ville deMontréal âgés de 20 à 45 ans, c’était le sida», asouligné Réjean Thomas. Il se souvient dessalles d’attente bondées de jeunes, amaigris,qui «avaient l’air d’avoir 90 ans».

Les améliorations«La trithérapie est arrivée en 1996, et là, ça a ou-

vert un autre monde», estime Dr Thomas. La com-binaison de ces trois médicaments permet en effetaux sidéens de vivre avec une maladie chronique.

Malgré les ef fets secondaires encore pré-sents, les médecins remarquent une améliora-tion considérable de la santé des patients et

une diminution des décès, selon un documentdu Portail VIH/Sida du Québec.

Bien que les avancées soient spectaculairesdepuis l’ouverture de sa clinique, il y a trenteans, Dr Thomas reste prudent, car il reste en-core beaucoup de chemin à parcourir, notam-ment concernant la prévention. « Le VIH, çareste une maladie grave, même s’il y a des traite-ments », a-t-il remarqué.

Il note d’ailleurs que les préjugés concernantles sidéens n’ont pas complètement disparusavec le temps. « Il y a encore des gens, en 2014,qui perdent leur emploi parce qu’ils sont séropo-sitifs », a-t-il regretté.

CollaboratriceLe Devoir

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RECULS

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

«La trithérapie est arrivée en 1996, et là, ça a ouvert un autre monde», estime Dr Thomas. La combinaison de ces trois médicaments permet en ef fet aux sidéens de vivre avec une maladie chronique.