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 A G O R A  D É B A T S J E U N E S S E S  # 2 0 13        J     e     u     n     e     s        d     e     s        M     a     s     c     a     r     e       i     g     n     e     s  l e s d é b a t s Pascal Duret, Muriel Augustini, Georges Dalleau, Pierre Leroyer, Maurice Zattara, Enseignants/chercheurs au CURAPS, Université de La Réunion. 117, rue du Général Ailleret 97430 Tampon - La Réunion [email protected] Cet article souhaite prendre de la distance avec deux types de regards ; d’une part, celui ne percevant que les similitudes chez les jeunes des îles du sud-ouest de l’Océan Indien et, d’autre part, celui suggérant au contraire qu’ils n’ont rien à partager. Ni naïvement apologétique, ni désespérément sceptique, il s’attache aux avancées d’un bassin culturel en train de se faire. Il analyse la place réservée aux consommations de loisirs pour ces jeunes. Enn, il analyse le rôle tenu par les manifestations sportives dans le bassin culturel, qui à la fois  joue dans la mise en place de relations fraternelles, mais rappelle aussi à chacun des pays son niveau de développement.  par Pascal DURET, Muriel AUGUSTINI, Georges DALLEAU, Pierre LEROYER, et Maurice ZATTARA. Tout vacancier peut facilement se laiss er abuser par une ressemblance de surface entre les différentes jeunesses qui peuplent les îles de l’Océan Indien. Sur la plage de l’Étang Salé (Réunion), comme sur celle de Flic en Flac (Maurice), comme sur celles de Praslin (Seychelles), ou encore comme sur les immenses étendues côtières proches de Tamatave (Madagascar), il semble que se soient les mêmes jeunes qui jouent aux mêmes jeux en écouta nt la même musique. Tout conspire à cet effet d’indifférenciation, ne parle-t-on pas des “ îles sœurs ”. Le but de cet article est tout d’abord d’inviter le lec- teur à participer à un insolite “ jeu des cinq erreurs ”, comme antidote à la vision unifor- misante projetée par les clichés d’un exo- tisme trompeur. Dans un second temps, nous identifierons quelques obstacles rencontrés dans la construction de cette région du monde en une zone économique et en bassin culturel. 1. Les jeux des cinq erreurs Première erreur . L’Océan Indien ne consti- tue pas un tout unié, ainsi convient-il de dis- tinguer les îles du Sud-ouest de l’Océan Quelles identités cult urelles pour les jeun es de l’Océan Indien?

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    Jeunes

    desMascareignes

    les dbats

    Pascal Duret,

    Muriel Augustini,

    Georges Dalleau,

    Pierre Leroyer,

    Maurice Zattara,

    Enseignants/chercheurs au CURAPS,

    Universit de La Runion.

    117, rue du Gnral Ailleret

    97430 Tampon - La Runion

    [email protected]

    Cet article souhaite prendre de la distance avec

    deux types de regards ; dune part, celui ne

    percevant que les similitudes chez les jeunes

    des les du sud-ouest de lOcan Indien et,

    dautre part, celui suggrant au contraire quils

    nont rien partager. Ni navement apologtique,

    ni dsesprment sceptique, il sattache aux

    avances dun bassin culturel en train de se

    faire. Il analyse la place rserve aux

    consommations de loisirs pour ces jeunes. Enfin,

    il analyse le rle tenu par les manifestations

    sportives dans le bassin culturel, qui la fois

    joue dans la mise en place de relations

    fraternelles, mais rappelle aussi chacun des

    pays son niveau de dveloppement.

    par Pascal DURET, Muriel AUGUSTINI,Georges DALLEAU, Pierre LEROYER,

    et Maurice ZATTARA.

    Tout vacancier peut facilement se laisserabuser par une ressemblance de surface entreles diffrentes jeunesses qui peuplent les lesde lOcan Indien. Sur la plage de ltangSal (Runion), comme sur celle de Flic enFlac (Maurice), comme sur celles de Praslin(Seychelles), ou encore comme sur lesimmenses tendues ctires proches deTamatave (Madagascar), il semble que sesoient les mmes jeunes qui jouent auxmmes jeux en coutant la mme musique.Tout conspire cet effet dindiffrenciation,ne parle-t-on pas des les surs . Le butde cet article est tout dabord dinviter le lec-teur participer un insolite jeu des cinqerreurs , comme antidote la vision unifor-misante projete par les clichs dun exo-tisme trompeur. Dans un second temps, nousidentifierons quelques obstacles rencontrsdans la construction de cette rgion dumonde en une zone conomique et en bassinculturel.

    1. Les jeux des cinq erreursPremire erreur. LOcan Indien ne consti-

    tue pas un tout unifi, ainsi convient-il de dis-tinguer les les du Sud-ouest de lOcan

    Quelles identitsculturelles pour les jeunes

    de lOcan Indien?

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    Indien (les Comores, Madagascar, Maurice,La Runion) de celles plus aux nord (commeles Maldives) ou celles toutes proches de lacte africaine (comme Zanzibar). Mme lintrieur du Bassin des Mascareignes, dontla francophonie (Chaudenson, 1992, Maestri,1994) et (dune manire plus relative) la cro-lophonie constituent dimportants facteursdunit (Chaudenson, 1995) on repre desdiffrences sensibles entre les styles de vie desjeunes et dans leur sentiment dappartenance une mme rgion du monde.Revenons notre vision des plages pour les

    analyser. Les jeunes mauriciens ne disposentpas, par exemple, des mmes espaces publicsque ceux de La Runion. Sils sont tasss Flic en Flac cest quil sagit dune des raresplages publiques de lle, la plupart tantrserves aux clients des chanes htelires.Plus les carts sociaux se creusent moins ilsemble probable que des jeunes de diffrentsmilieux se frquentent. Il est, par exemple,totalement invraisemblable que des Mauri-ciens croles dorigines modestes frquententle trs chic Dodo club . Cette logiquesgrgative trs marque dans les les les pluspauvres (Comores, Madagascar) au point quela grande majorit des jeunes autochtonesnont pas de temps perdre la plage1 esttrs largement attnue au point de dispa-ratre La Runion mme si les plages des roches noires et de Boucan canot nerecrutent pas les mmes assidus que celle deManapagny ou de St-Pierre.

    Deuxime erreur. y regarder de plus prt,on aurait de fortes chances de sapercevoirque les jeunes jouant sur la plage de Praslinne sont pas originaires des Seychelles maisvenus y passer des vacances. Les Seychellesont en effet la particularit de recevoirannuellement plus de touristes quelles nontdhabitants2. De fait, les jeunes des Masca-reignes vivent dans des univers conomiquestrs diffrents. La principale exprience devie de ceux des Seychelles, mais plus encoredes Malgaches et des Comoriens est la prca-rit. Vivre proche ou sous le seuil de pauvretcondamne un quotidien o la mobilitinter-les nest pas monnaie courante. Unautre constat complmentaire simposelorsquon quitte Madagascar ou les Comorespour venir La Runion ce nest pas pourune quinzaine touristique mais pour travailleret souvent nimporte quel prix (ou plusrarement pour suivre des tudes).Inversement, dot dun bien meilleur

    niveau de vie, les jeunes runionnais vontfaire du tourisme (et du shopping) dans lesles voisines (Maurice surtout Madagascarparfois) au cot de la vie bien moindre quechez eux. Ces changes ingalitaires necontribuent pas rapprocher ces diffrentesjeunesses.Se dveloppe La Runion mme un tat

    desprit anti-comorien . Bien videmment,personne La Runion ne revendique la dis-crimination ethnique : au contraire, lun desmythes fondateurs qui sert de ciment au liensocial runionnais est le refus du racisme quise traduit en pratique par des scores jusque-ldrisoires du FN sur lle (mme si largument droit la diffrence culturelle etlaffirmation de la crolit semploient parfois

    1 Puisque ds le plus jeune ge il contribue la cellule deproduction familiale. Le droit au loisir passe aprs la ncessitde la survie.2 Composes de plus dune centaine dles les Seychelles sontpeuples de 75 000 habitants concentrs quasi exclusivementsur trois dentre elles Praslin, Mah et la Digue.

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    de manire ambigu). Cependant la peur dunon emploi (taux de chmage de 34 % surlle) ravive les logiques de prfrence com-munautaire. y regarder attentivement cenest pas vritablement sur le march delemploi que les Comoriens sont perus

    Les moqueries stigmatisantes fournissent lapreuve de cette animosit. Alors quelhumour inter-ethnique reste dans la grandemajorit des situations assez bon enfant sans se priver pour autant dpingler des st-rotypes de chacune des communauts, lacommunaut comorienne, elle, est raillesans mnagement et il nest sans doute pasexcessif de parler de quasi-racisme songard. Les blagues dont font, par exemple,les frais les Zoreilles sinscrivent dans unerciprocit et un toujours possible change-ment de rles entre moqueurs et moqus. LeCrole se moque volontiers du Zoreille

    La Runion 1992 1993 1994 1995 1996 1997Demandes demplois 80 120 80 200 85 623 88 837 96 330 100 482Offres demplois 14 315 12 529 20 475 24 503 34 444 33 224

    le Maurice Seychelles La RunionPart du tourisme dans le P.I.B. 8,2 % 34,2 % 2,9 %Coefficient de valeur ajoute nationale 0,90 0,67 0,43

    comme une menace par les jeunes runion-nais, mais bien plutt en tant quagents dedrgulation du travail au noir ; ils sont, eneffet, rputs casser les cours en acceptantnimporte quel travail sans jamais discuterdes conditions fixes par lemployeur.

    Source : Insee territoires 1997-1998.

    Source : Tourisme et dveloppement, Observatoire du dveloppement de La Runion n 34, avril 1998

    dpeint (htivement) comme un nanti profi-teur mais son tour celui-ci peut rire duCrole en le dcrivant (tout aussi caricatura-lement) comme un pur assist. Les Como-riens, eux nont pas cette possibilit, ils sonttoujours dans le camp des moqus.Il convient galement de retenir en matire

    de mobilit les statistiques les plus frquem-ment mobilises concernent soit les pratiquesde loisirs, soit les statistiques darrive auxfrontires des travailleurs. La Runion sesitue encore largement en retrait en matiredaccueil touristique par rapport aux autresles de la zone des Mascareignes3.

    Par contre, les choix hypothtiques devacances des jeunes runionnais montrentlambigut de la rfrence Paris. Nousavons administr un mini-questionnaire 220tudiants du campus de Saint-Denis. Unequestion leur demandait o ils aimeraientpartir durant leurs vacances. Les rponsesattestent de lattachement (ou de lattrait

    exerc par) la mtropole (et plus prcismentpar Paris). Mais une question ouverte desti-ne clairer ces choix montre paradoxale-

    3 Autre manire de lire les donnes qui aboutit un autreconstat : lensemble de lconomie runionnaise sest dveloppau mme rythme que le tourisme, ce qui explique que son poidsrelatif nait pas progress. Il nempche que mmecomparativement la moyenne nationale (7%) le P.I.B. dutourisme runionnais reste relativement faible.

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    ment que se rendre Paris ne signifie paspour eux vouloir visiter les hauts lieux de laculture franaise mais frquenter ceux de laculture Mc Monde tels Disneyland ou Plante Hollywood . Il sagit undeuxime niveau daller retrouver une partiede sa famille vivant en mtropole, en aucuncas daller y chercher des racines identitairesnationales.

    Choix de lieu des destinations de vacancesdes jeunes tudiants runionnais : Les dixrponses les plus frquentes exprimes enpourcentage

    Mtropole 27 %Maurice 21 %Rester La Runion 14 %Seychelles 6 %Afrique du Sud 5 %Madagascar 4 %Amrique du Nord 4 %Australie 3 %Inde 2 %Les Antilles 2 %

    Troisime erreur. Tout observateur sur lesplages de La Runion peut constater quelanimation des heures chaudes (surf, beachvolley) laisse place en soire certainespriodes de lanne un autre typedeffervescence, celle des feux de camp o lesjeunes tout en coutant ou en jouant de lamusique fument souvent sans retenue leZamal (le cannabis local), dont la consomma-

    tion est suffisam-ment intgre dansles murs4 pourtre chante par lespotes locaux :

    Oh Zamal, Oh Zamal tu fais mal moncur . Sur les autres les des Mascareignesconsommer du cannabis, quil soit appelRongony par les Malgaches ou Banguey parles comoriens, passe souvent pour un forfaitmajeur et ceux qui enfreignent cet interditrisquent des peines sans aucune communemesure avec celles encourues par les jeunesrunionnais. Il sagit Maurice dun vritablecrime passible demprisonnement vie, lesaffiches en ville et laroport ne laissent auxventuels contrevenants aucun doute sur lagravit de la sanction qui les attend. En outrela lgislation pnale ne peut tre confondue Madagascar avec lapplication de la justicequi passe aussi par des pratiques populairesou coutumires se substituant volontiers ltat et son droit constitutionnel perucomme inefficace. Dans certaines parties dela grande le les jeunes dlinquants et/outoxicomanes sexposent, sils sont pris sur lefait, une lapidation pure et simple sansautre forme de procs (Ramilison, 1993). Ducoup, les ftes ne sont pas du tout marquesdune le lautre par la mme ambiance.Une jeune Mauricienne venue sinstaller LaRunion pour ses tudes en STAPS rsumedune expression ce dcalage culturel La

    On repre des diffrences sensibles entre lesstyles de vie des jeunes et dans leur sentimentdappartenance une mme rgion du monde.

    4 Lenqute INSERM 1997 sur lusage des psychotropes dansles DOM situe le taux de contact avec les drogues douces unjeune sur trois (usage beaucoup plus lev qu la Martinique ou la Guyane). Une enqute Baromtre sant meneactuellement par la DRASS devrait permettre daffiner cespremiers rsultats (cf. Infostat, Bulletin dinformation de laDRASS n 50, juin 1999).

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    Runion quand on arrive de Maurice cest laJamaque . Rien de plus faux pourtant quede conclure un laisser-aller des pouvoirspublics et des forces de lordre quand lapplication de la loi. Bien au contraire cestparce que des campagnes de prvention effi-caces et une surveillance intraitable (par hli-coptre notamment) ne laissent aucunechance des plantations clandestines grande chelle, que lusage priv, presque dcoratif du pied de Zamal au fond dunjardin peut parfois persister. Ne pouvantaussi srement contrler la situation sur leterrain de la toxicomanie, les autres pays dela rgion doivent agiter une menace rpres-sive dintensit suprieure.Les modalits intergnrationnelles des

    ftes elles aussi diffrent. La Runion, lesftes organises par les jeunes sont souventdes ftes entre jeunes. Maurice, les ftessont presque toujours une occasiondentretenir les liens de la famille, lesmembres, cela va de soi, y sont prsents. Lafamille est le lieu de la construction de soi et ilny a pas Maurice de soi sans nous .Lidentit individuelle de chaque jeune puiseses ressources au sein de ce nous familial .Une autre tudiante mauricienne venue LaRunion nous confiait : Ce qui ma le plussurpris lors de mes premires ftes ctaitlalcool et le Zamal mais aussi le fait quil nyavait jamais les parents, Maurice si tu faisune fte tout le monde de ta famille participe,moi je danse avec mes grands-parents, lesjeunes et les vieux sont ensemble, moi je pr-fre . Les manires de vivre les rapportsinter-gnrationnels au sein dune mmefamille ne supposent donc pas Maurice lasparation des activits, alors quelles

    lexigent plus souvent La Runion. Mau-rice, la famille ne simpose pas, elle est l ; demme, on ne fait pas la fte avec sa famillepour sassurer de son soutien logistique lorganisation, ni pour suivre prcisment unecoutume, mais parce que lon vit ensemble. Madagascar sajoute la proximit des ascen-dants le poids des anctres (razana5). LaRunion, les jeunes ont beau vivre avec ettre descendant de , la famille est plus tra-verse par des relations daffinits lectives,les anciens ne jouent pas au sein de lafamille le mme rle (Cheynel, 1985).Quatrime erreur. Sur ces plages, les jeunes

    ne font pas tous ou ncoutent pas tous lesmmes musiques. Ce sont, en effet, lesmusiques locales qui occupent une placedterminante. On reprera en particulierpour La Runion :- le Zouk et le Zouk love qui entretiennent

    une passerelle musicale entre La Runion etles Antilles ( zouk affairs , Intens , Karamell , meraude ) ;- le reggae aux consonances jamaquaines

    trs prsentes (DJ Dom, Aston Bernett,Peter Tosh) ;- les groupes locaux comme entre autres

    Baster, Oussanoussava ;- et, pour Maurice, le sgga et le sgga

    (hybridation avec le reggae avec notammentle groupe Cassiya et les chanteurs Jol Vignesou Kaya dont la disparition a dclench lesmouvements de 1998).Ces genres musicaux peuvent sentendre

    aussi bien Maurice qu La Runion : Cas-sya par exemple se donne en concert St-

    5 Madagascar les maladies sont souvent encore interprtescomme lintervention des anctres sanctionnant la transgressiondune norme sociale (Rajaonarimanana, 1999).

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    Leu (La Runion) pour la sortie de son der-nier album Racine de vie , alors que Bas-ter passe Cure-pipe (Maurice) pour prsen-ter le sien. Mais la musique et les vedettesmalgaches (Mily Clment) sont moins pr-sentes dans les hits-parade runionnais etmauriciens. Ltude compare des hits-parades dans les trois pays montre en retourque les chanteurs mauriciens et Runionnaisne scoutent pratiquement pas Antanana-rivo. Exception, faite du chanteur mauricienKaya, mais qui est plus connu Madagascarcomme martyre que pour ses disques.Cependant il faut interprter avec prudenceles indications fournies par ltude des hitparades qui reposent le plus souvent sur despalmars de ventes. Il convient, en effet, derelativiser limportance de la dmarchedachat en magasin qui ne constitue quunmode dacquisition parmi dautres des cas-settes et des CD.Il concerne surtout les jeunes les plus nan-

    tis, or sur les trois les les autres disposentdautres circuits dapprovisionnement(copies, changes, marchs parallles). Pour-tant on peut avancer que lcoute musicale Madagascar privilgie deux dimensions :lespace local avec des formes traditionnellestrs vivaces (comme le Hira-gazy) et ladimension plantaire en faisant limpasse surla musique des autres les. Les seuls dnomi-nateurs communs musicaux qui restent alorsau niveau de lOcan Indien sont en dfini-tive fournis par les idoles de la culture Mcmonde . Madonna, Cher, Phil Collins,Ricky Martins et autres stars des varitsmondiales qui ont droit de cit danslensemble des hit parades et souvent sur lesmurs des chambres des adolescent(e)s.

    Cinquime erreur. Sur une mme plage lesdiffrences foisonnent ; de mme quil faut segarder damalgamer les jeunes de lOcanIndien, il faut djouer lillusion faisant desjeunes de La Runion, de Maurice ou deMadagascar une totalit univoque et unifie. ce point prcis il est interdit de setromper : chaque le repose sur la diversit,alors autant viter de succomber la tenta-tion de construire des totalits culturelles. Onne peut pas crire les Runionnais commecertains ethnologues ont fait usage du ils ou du eux (collectif et globalisant) pourdcrire les Nuers, les Bororos, ou les Arapeshs. Tout tableau uniformisantgommerait la spcificit de ces les qui tienten un paradoxe : le mtissage culturel estdordinaire la consquence de la mondialisa-tion laquelle on oppose la dfense des iden-tits locales, or ici le mtissage est lidentitlocale.

    2. Le sport : un exemple dinvestissementculturel gomtrie variable entre local etmondialisationRien ne semble devoir arrter lextension

    de la coopration rgionale inter-les, impul-se par la Commission de lOcan Indiendans plusieurs domaines : transports, pche,artisanat, changes commerciaux6, coopra-tion industrielle7, tourisme8, cooprationscientifique et technique, sant9, environne-

    6 Mise en place dun cadre juridique visant labaissement desbarrires tarifaires et lamnagement des rglementations nontarifaires.7 Mise en place dun Conseil rgional de la cooprationindustrielle (CRIC).8 La direction rgionale du tourisme (base aux Seychelles) apris la relve de lAlliance Touristique de lOcan Indien (ATOI)cre en 1966 et dissoute en 1977 faute de ressources.9 Mise en place dun rseau rgional de veille pidmiologique,plan daction rgional de secours en mer

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    ment, ducation. Ce dernier domaine consti-tue un remarquable secteur de concentrationde la coopration ayant permis la mise enplace dune universit de lOcan Indien(UOI10). Mais la vitalit des changes de for-mations ne peut faire oublier les fragilits dubassin en terme dchanges commerciaux11

    intra-zone et de manque dautonomie finan-cire vis--vis du Fonds conomique de dve-loppement (FED) et de lUnion europenne.Du coup, comme lont soulign Oraison etses lves (Oraison, 1988 ; Cadet, 1997) lesvises premires dune organisation interna-tionale vocation conomique glissent alorsvers des objectifs surtout symboliques de bon voisinage 12. Do une place impor-tante accorde aux sports en gnral et auxjeux de lOcan Indien en particulier pourdvelopper et entretenir lesprit de fraternitentre les diffrentes les. Mais la cinquimedition de cette preuve na pas semblentraner lengouement des prcdentes. Onvoit cela plusieurs raisons.- Premirement, les Runionnais, organisa-

    teurs en 1998, semblent avoir davantage lesyeux tourns vers la mtropole osexportent leurs meilleurs joueurs que versles performances rgionales. Do en cons-quence une dvalorisation relative des jeuxdes les, et de leurs victoires juges tropaises. Les 30 victoires runionnaises sur les31 courses de natation sont rgulirementmises en avant dans les commentaires desjeux (ce qui masque dailleurs un bilan globalplus quilibr13). Dune manire gnrale, lesjoueurs connus des autres les sont ceux quivoluent dans le championnat de football deLa Runion (par exemple les Malgaches) oualors ceux qui voluent dans les champion-

    nats de mtropole (par exemple Hoffman levolleyeur mauricien). La presse sportiveocanienne, destine mieux faire connatreles sportifs de la rgion, privilgie parfois lamise en exergue de ceux qui ont atteint lagloire en mtropole et plus largement enEurope. Patrice Casimir (gymnastique), Lau-rent Robert (football), Jakson Ridcharson(handball) illustrent ce dtour par lequel ondevient vraiment une vedette sportive. Laconscration passe par lexpatriation .Luniversalisme dans le domaine du sportclipse le rgionalisme.- Ensuite, lengouement lors des premires

    ditions des jeux tait son comble parceque les nations et le dpartement franais enlice avaient encore un niveau de dveloppe-ment relativement proche, la comptition yfigurait la passion pour lgalit des chances.Au fil des ditions, lessor conomique de LaRunion a creus un cart avec les autres les.Du coup la comptition semble moins armes gales quand La Runion fait figure,vue des Maldives, des Comores ou des Sey-chelles, dle surdveloppe en infrastruc-tures sportives et pouvant mobiliser unetechnologie de pointe pour lentranement deses champions. Le sentiment dinjustice estaviv par la possible participation des sportifs

    10 Les grandes lignes en furent traces en 1995 et elle a vu lejour en 1998, sachve aujourdhui le premier programme deformation sous la prsidence de Goolam Mohamedbhai.11 Elle ne le cherche pas, mais bien y pallier en formant desjeunes qualifis.12 Les objectifs relvent plus de relations de bon voisinage quedune relle coopration se traduisant par des changescommerciaux substantiels (Oraison, 1988).13 191 mdailles pour La Runion, 164 pour lle Maurice, 137pour Madagascar, 69 pour les Seychelles, 7 pour les Comores,2 pour les Maldives. Il est donc toujours un peu facile pour lesupporter runionnais doublier les contre-performances de seschampions en judo, tennis, volley quand Franck Schott ouAurlie Gresset truste les mdailles en natation.

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    runionnais un championnat en mtropole(do larticle 28 de la Charte des Jeux delOcan Indien limitant la participation dessportifs runionnais nvoluant pas surlle14).- Enfin, les Jeux sont porteurs denjeux

    gomtrie variable. Pour les pays lconomie la plus prcaire comme les Mal-dives ou les Comores participer, cest--diremanifester sa prsence, revient lessentiel.Pour lle de Ratsiraka, cause de difficults

    conomiques et dune situation sanitaireencore problmatique15, les jeux tiennent unrle de vitrine de la bonne sant du pays.Enfin, pour La Runion lenjeu nest plusuniquement dans le nombre de mdaillesremportes, lpreuve se dplace dans lechamp de lorganisation o il sagit de fairepreuve de son excellence et de son moder-nisme. Do la rfrence appuye et ritredans la presse la cration dun site internet, la sophistication des cartes daccrditationou enfin au modernisme du nouveau gym-nase de St-Andr.

    ConclusionLOcan Indien reprsente 75 millions de

    kilomtres carrs deau, desquels mergentquelques les. Les jeunes qui y vivent connais-sent le plus souvent des ralits cloisonnes.Le bassin culturel est donc plus faire

    14 Article dautant plus controvers par les supportersrunionnais quil permet aux les qui sont aussi des tatsdenvoyer leur champions en prparation o elles lentendent.Mauriciens et Malgaches peuvent voluer en France sans avoir renoncer aux jeux de lOcan indien. Lexemple le pluspolmique concerne linterdiction de participation impos F.Giraudet volleyeur Agde alors que son coquipier Hoffmanpouvait, lui, dfendre les couleurs de Maurice.15 Madagascar connat dimportants foyers de lpre et detuberculose, lesprance de vie y est dune vingtaine danneinfrieure celle de La Runion.

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    quune donne de dpart ; il reprsente unbeau pari gagner (en favorisant la mobilit,les changes) pour offrir aux jeunes le pri-vilge dappartenir plusieurs mondes (local,rgional, mondial) dans une seule vie. Lesobstacles ne manquent pas sa russite maismme Paris ne sest pas fait en un jour.

    BibliographieBARNAB, J., et al., loge de la crolit,

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    Jeunes

    desMascareignes

    What are cultural identitiesfor young peoplein the Indian Ocean ?On the Etang Sal beach (Reunion), on Flic en Flacbeach (Mauritius), on Praslin beaches (Seychelles) oreven on the large coastal stretches close to Tamatave(Madagascar), the same young people seem to beplaying the sames games while listening to the samemusic. Everything contributes to this lack ofdifferentiation, arent these island considered as Sister islands ? The aim of this paper is to invite thereader to take part in an unusual game of spot thedifferences , as an antidote against the standardizedvision projected by cliches of deceptive exotism.

    Qu identidades culturales paralos jvenes del Ocano ndico?En la playa de la Laguna Salada (Reunin), al igualque en la del Flic en Flac (Mauricio), como en lasde Praslin (Seychelles), o tambin en las inmensasextensiones costeras cercanas a Tamatave(Madagascar), parece que veamos a los mismosjvenes jugando a los mismos juegos y escuchando lamisma msica. Todo conspira a este efecto de falta dediferenciacin, no se habla de islas hermanas? Elpropsito de este artculo es, en primera instancia,invitar al lector a participar en un inslito juego delos cinco errores, como antdoto a la visinuniformizante proyectada por los tpicos de unexotismo engaoso.

    Welche kulturelle Identittenfr Jugendlicheaus dem Indischen Ozean ?Am Strand von Etang Sal (Runion) wie am Strandvon Flic en Flac (Mauritius) oder am Strand vonPraslin (Seychellen) sowie an den riesengrossenKstenstreifen in der Nhe von Tamatave(Madagascar) sind es anscheinend die gleichenJugendlichen, die die gleichen Spiele haben und dabeidie gleiche Musik hren. Alles trgt zu dieserUndifferenzierungswirkung bei, spricht man nichtbrigens von den Schwesterinseln ? Ziel diesesArtikels ist zuerst den Leser an einem Spiel der fnfIrrtmer teilnehmen zu lassen und zwar alsGegenmittel zur vereinheitlichenden Vision, die vonden Klischees einer teuchenden Exotik hervorgerufenwird.

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