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 PQ 2619 .AI 7 Z7i6 JACOB LE POETE PENl^ TEINJT DE SAIWT- BENOIT-SUR- LOIRE U dVof OTTAUA

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max jacob

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  • PQ2619.AI 7

    Z7i6JACOB

    LE POETE PENl^TEINJT DE SAIWT-BENOIT-SUR-LOIRE

    U dVof OTTAUA

    39003002108008

  • naX JACOBle pote pcoitc^t

    de

    aip)t-^cr)Ot-$tjr-boirc

    fK^ I

    "... Varionnez-moi, Seigneur.

    je suis le don Larron...

    ... J'ai donn ma oie

    cette Vassion..."

    Chez M. le Curle Saint-Benot-sur-Loire

    ce. Orlans 277-62

    Abbaye de FleurySaint-Benot-sur-Loire

    (Loiret)

  • J

  • NOTE LIMINAIRE

    A l'occasion du premier anniversaire de la mort de Max Jacob,le 5 Mars 1945, nous avions, en un numro spcial, runi pourles lecteurs du Val d'Or ces quelques tmoignages :

    Nous qui avons t depuis 25 ans, disions-nous, tmoins desa vie pnitente Saint-Benoit, nous nous contentons de racon-ter ici trs simplement ce que nous avons vu et ce que nousavons entendu ce qu'ont vu et entendu ceux qui ont pntrdans son intimit.

    A la vrit la grce ne dtruit pas la nature; en consquencenous exagrerions si nous faisions de notre hros des loges sansrserve; ce que nous pouvons dire toutefois c'ect qu'il ne cessade travailler corriger sa nature, et puiser dans sa foi et sespratiques chrtiennes la force et les moyens de devenir meilleur.

    Max Jacob restera pour les habitants de Saint-Benoft l'hum-ble chrtien qui veut tout prix gagner le ciel par la pnitence,l'obissance envers Dieu et la charit envers le prochain.

    Quel bel exemple pour ceux qui l'ont connu.

    L'dition originale de cette brochure est aujourd'hui puise.Depuis, de nombreux articles et biographies ont t consacrs notre ami. MIagr cela et pour satisfaire de nombreuses de-mandes, nous avons cru utile de publier une seconde dition.

    Nous n'avons rien chang aux textes. Notre tmoignage demeu-re le mme.

    Les moines bndictins sont revenus dans ce monastre oMax Jacob avait vcu. Ils vont relever l'ancienne et prestigieuseAbbaye de Fleury. La nouvelle dition de cet ouvrage sera ven-due au profit de cette restauration dont Max Jacob sa ma-nire fut i'un des prcurseurs. Ce sera sa faon lui et duhaut du ciel nous sommes srs qu'il nous approuve d'apporterquelques pierres aux constructions nouvelles.

    AL FLEUREAU,Ch. hon., cur de Saint-Benot.

    (1) Le Val d'Or : revue paroissiale mensuelle de la basiliquede Saint-Benot-sur-Loire.

  • 5

    mAx JAC03{Pour le 5 Mars 1945, anniversaire de sa mort)

    Pote regrett, ton ombre tutlaireNous semble errer encor au fond du sanctuaireO tant de fois tu vins, ds le soleil levGmir sur tes pchs et pleurer sur tes frres.

    Fils d'une autre race, si ton maintien parfoisDroutait le bon sens et en changeait les lois.Il ne fallait y voir que l'cho trs lointain

    Du Roi David dansant au sou du tambourin.

  • 6

    Tu l'imitais encor, quand suivant au CalvaireCelui que tes frres clourent sans raisonTu redisait pleurant, te tranant sur la terre,

  • Elle se dresse encoi- son heure dernireCette croix apparue au milieu de sa vie...Bien plus seul que le Christ, il mourut sans hostieSans secours, sans ami, seul avec sa prire.

    En suivant pas pas la divine VictimeOui, tu l'as bien rachet cet ancestral crime.Tu fus le grand souffrant, le grand pleurant de DieuPuisse ta joie un jour clater dans les cieux.

    V. d'O.

  • fT)eX ^acob

    (TEXTE D'UNE CONFRENCE prononce le 21 Mars 1944 auGroupement paroissial des hommes de Saint-Benot).

    Ces lignes n'taient pas destines Vimpression. Ellesn'avaient d'autre but que d'voquer devant un auditoire res-treint et familier la figure aime de notre cher Max Jacoh sicruellement disparu.

    Elles n'apportent aucun dtail indit sur la vie de MaxJacob, antrieure ses sjours Saint-Benot et pour cettepremire priode l'auteur a fait largement appel l'ouvragede M. H. Fabureau publi en 1935.

    Il y a 4 semaines aujourd'hui, il tait au milieu de nous, ilcoutait avec nous la causerie de M. le Cur sur le Mont-Cassin. Il connaissait ce Mont-Cassin, oii il tait all et jel'entends encore dire avec son indpendance et son originalitde pote et d'artiste : (( Ce n'est pas a du tout ou bien :(( C'est tout fait a .

    C'est ce jour-l 22 fvrier qu'il est venu en cette salle pourla dernire fois, c'est ce jour-l qu'il a donn beaucoupd'entre nous sa dernire poigne de main. C'tait Mardi-Gras,il avait dn ma table, nous avions voulu manger les crpesensemble avant d'entrer rsolument en Carme.Je le revois, je le reverrai toujours, assis en face de moi et

    nous parlant de tout avec sa verve blouissante. Comme sou-vent, nous avons parl de la mort, u Je ne demande qu'unechose, disait-il, mourir avant mon vieux cur pour que ce soitlui qui me prpare la mort.

    Il est bien mort avant son vieux cur...Il a commis chez nous son dernier pch, oh ! bien vniel, de

    gourmandise, et le lendemain, je l'ai vu se courber comme luiseul savait le faire pour recevoir les cendres rituelles, a Sou-viens-toi, homme, que tu es poussire et que tu retournerasen poussire . Jeudi 24 fvrier par un soleil clair je l'airencontr sur le chemin qui chaque matin le menait la postechercher son volumineux courrier, il avait son large bret etson vieux capuchon de drap noir, et sa figure toujours ouverte l'amiti et souriante l'ami, malgr tous les deuils et toutesles angoisses qui dja accablaient son cur. Cette rencontredevait tre notre adieu. Une heure aprs, l'auto de la policeallemande s'arrtait devant sa porte pour nous l'enlever.

  • 10

    Quel tait-il cet homme qu'une auto grise arrachait Saint-Benot o il tait fix depuis 23 ans ? Je vous conseille d'allerfaire un plerinage la sacristie, sur le i-egistre des visiteurs, la date du 20 fvrier, le dimanche prcdant son arrestation,vous trouverez sa signature : MAX JACOB 1921-1944. Pour-quoi ces deux dates extrmes de son sjour ici ? Pressenti-ment ? Divination ?M. le Cur vous dira tout l'heure comment il est arriv

    ici et quelle y fut sa vie. Pour ma part, je voudrais rapidementesquisser pour vous un tableau de sa vie antrieure. Vous avezt les tmoins de sa retraite et de son dtachement, il fautque vous sachiez ce qu'il fut et d'o il tait parti pour mieuxmesurer toute l'importance et toute la signification de sa vie.Beaucoup de gens St-Benot ne voyaient en Max Jacob

    qu'un vieux dvot assez original et probablement un peudtraqu. Eh bien, messieurs, laissez-moi vous dire que si MaxJacob tait mort en tout autre temps vous eussiez vu accourir ses obsques les personnalits les plus marquantes des lettres,des arts, de la haute socit, voire de la politique. Car ce vieil,homme pittoresque, qui volontairement avait renonc aumonde, a eu, et aura, une influence considrable sur lesmouvements intellectuels et artistiques contemporains. Je nesuis pas trs certain qu'il ft connu de tous les gens de noshameaux, mais il tait connu et honor par toute la Franceet bien au-del de nos frontires.

    l tait n Quimper le 12 Juillet 1876, de parents juifs nonpratiquants. Ne considrez-vous pas comme un signe de pr-destination qu'il ft n prcisment en ce jour o nous com-mmorons la translation des reliques de Saint-Benot ?Au lyce de sa ville natale, o il fit ses tudes secondaires,

    il montrait dj un esprit brillant mais original, il participait la rdaction d'un journal intitul La Cigogne dans lequelil publiait en feuilleton un conte fantastique. En philosophieil obtint un accessit au concours gnral. Encourags par cepremier succs, ses parents auraient voulu qu'il devint pro-fesseur, mais Max ne se sentait aucunement la vocationd'enseigner et sduit par le mirage de l'Orient il demande sonadmission l'Ecole Coloniale, nouvellement cre, o il entreen 1894. Mais l il ne se sent point non plus la vocationd'administrateur et il profite de l'interruption provoque parl'appel militaire pour envoyer sa dmission au directeur del'Ecole. Au bout de 6 semaines, il est rform pour faiblessegnrale et dcide alors qu'il sera peintre au grand scandaleet dsespoir de sa famille qui rvait ,pour lui d'une carrire

    plus sre et plus conforme ses ides.Il part subrepticement pour Paris, o, sans bagages, presque

    sans argent, il donne des leons de piano pour gagner sa vie.11 se nourrit de quelques sous de pain par jour et couche dans

  • 11

    un hamac que lui a prt un ami breton aussi riche que lui.A l'Acadmie Jullian o il se prsente pour apprendre la pein-ture, il a si pauvre mine qu'un lve lui demande (( s'il est venuvendre des crayons ou des lacets Max s'enfuit, honteux etne revint jamais. Sur ces entrefaites, un malheur n'arrivejamais seul, il perd sa meilleure lve de piano.

    Il est dans la plus grande dtresse, quand un de ses amislui propose de faire de la critique d'art. Max Jacob adopte ceprojet avec enthousiasme ; le succs semble couronner sesefforts, un premier article sur Lucien Simon paru dans LeMoniteur des Arts lui est pay 20 francs.Avec son haut de forme et sa redingote il a belle allure

    ;

    c'est en cet appareil qu'il visite les peintres en renom jusqu'aujour oii devant la raillerie d'un de ses vnrables et savantscousins il renonce brusquement la critique d'art pour retom-ber dans la misre.

    Il retourne alors Quimper, mais aprs avoir t apprentimenuisier et clerc d'avou il levient Paris ; nous sommes en1901. L il est successivement secrtaire d'avocat, prcepteurdans une famille bourgeoise, employ de commerce Paris-France, boulevard Voltaire, o l'on finit par lui faire balayerle plancher avant de le remercier.Au cours de ces tribulations, Max Jacob, encore incroyant,

    est dj hant par l'ide de Dieu. Pendant ses crises d'abatte-ment et de dtresse il lui arrive de se jeter genoux sur leparvis de Notre-Dame en implorant : Mon Dieu, si parhasard vous existez, faites que je ne sois pas trop malheureux!

    C'est vers 1901 qu'il rencontra le jeune peintre Picasso et decette poque date une amiti qui devait tre fconde et alaquelle, malgi l'loignement de sa retraite, Max Jacob restaitfermement attach. Picasso lui avait dit : Tu es le seul potede l'poque et il l'encouragea vivement publier.En 1904, sa premire uvre parat, il s'agit d'un cdnte pour

    coliers : Le roi Kaboul et le marmiton Gauvin . L'diteurPicard et Kahn a accept le manuscrit condition qu'il lelacise en remplaant glise par htel de ville et c( pr-tre par (( instituteur . Ce premier ouvrage lui est pay30 francs. Un nouveau conte pour colier Le Gant du Soleil parait la mme anne en feuilleton. Ce n'est pas encore Jafortune. On imagine mal ce que fut la misre de ce bohmefamlique qui avait renonc aux besognes serviles pour vivreen pote , c'est--dire sans feu, sans clairage et souvent sanspain.

    Picasso tant install au 13 de la rue Ravignan, il louelui-mme au n 7 un rduit sombre dont il parle dans Ladfense de Tartufe : Ma chambre est au fond d'une couret derrire des boutiques, le n 7 de la rue Ravignan ! Turesteras la chapelle de mon souvenir ternel. J'ai pens, tendu

  • 12

    sur le sommier que quatre briques supportent ; et le pro-pritaire a perc le toit de zinc pour augmenter la lumire .Max Jacob ne quitte gure l'atelier de Picasso o il rencontre

    Guillaume Appolinaire, Andr Salmon, qui deviennent sesinsparables amis. D'autres peintres ou potes, Van Dongen,Pierre Mac Orlan viennent bientt grossir la

  • 13

    haute voix, supplie la Vierge de l'aider se vaincre, l'appelleMarie, en la tutoyant . XXX

    C'est cette mme anne 1909 que commence vritablementla carrire littraire de Max Jacob. Il publie Saint Matorel,roman illustr par Picasso.

    En 1911 paraissent les uvres mystiques et burlesques defrre Matorel, mort au couvent de Barcelone, o l'diteurKalnweiler a runi les pomes pars de Max Jacob.Enfin il publie en 1912 le troisime volume du cycle Matorel,

    Le Sige de Jrusalem, drame symbolique.

  • 14

    Max Jacob a maintenant un diteur, il est le chef d'unecole potique, il devient personnage clbre. Il va dans lessalons o il lit ses pomes en prose en mme temps qu'il essaiede placer un tableau de Picasso ou un exemplaire de sonrecueil de chants bretons (( La Cte qu'il a dit ses frais.

    1914, mobilisation, guerre, il est rform.

  • 15

    de Max Jacob pendant son premier sjour ici, toute de travailt de prire.

    Sur l'insistance de ses amis, il retournera Paris en 1928 il y connatra encore le succs et la prosprit mais son aspi-ration la retraite le reprendra bientt et vers 1936 nousverrons revenir dfinitivement, cette fois-ci, un Max Jacobpnitent et contrit, mener la vie de pit fervente dont vousavez t les tmoins.

    Si j'ai insist sur le pass de Max Jacob ce n'est pas pourle vain plaisir de vous raconter une histoire pittoresque, maispour essayer de dgager mieux l'enseignement de cetteexistence.

    Tous les amis de Max Jacob sont devenus clbres, quelques-xns riches, Picasso, Andr Salmon, Appollinaire, FrancisCarco, Andr Billy, Mac Orlan, etc., ; il n'tait pas le moindreparmi eux et il avait connu, lui aussi la prosprit. Or, ils'en est volontairement dtach. Il a exactement appliqu leprcepte de l'Evangile : (( Si quelqu'un m'aime, qu'il serenonce lui-mme et qu'il me suive . Il avait renonc tout,dans sa modeste chambre meuble il ne possdait pas un seulexemplaire de ses uvres, il ne tolrait pas mme qu'on luin parlt.

    S'il continuait peindre c'est qu'il lui fallait vivre, maissa principale occupation tait la mditation et la prire, sagrande proccupation la conversion des pcheurs, des in-croyants et des juifs. Dans ce domaine, la porte de son actionest incalculable, il convertissait moins par ses arguments quepar son exemple.

    Vous tous qui tes ici avez peut-tre bnfici plus ou moins votre insu, de son action. Moi-mme en vous parlant de lui,ce soir, j'accomplis un acte de reconnaissance sacre.Max Jacob est l'homme qui m'a fait penser Dieu. L'homme

    qui m'a fait me poser srieusement le dilemme : Dieu est-il,ou non, prsent sur l'autel ?

    Si le Christ n'est pas Dieu et si l'hostie n'est pas le Christprsent, pourquoi continuer d'aller l'Eglise ? et si le Christest vraiment Dieu et s'il est vraiment prsent sur l'autel, monesprit peut-il tolrer plus longtemps l'indiffrence complte etsacrilge, dans laquelle vivent la plupart des chrtiens, dontje suis.La croyance de Max Jacob parti de si loin et parvenu si

    haut tait une affirmation. Il sentait intensment la prsencede Dieu, il nous l'a enseigne. Son attitude qui aurait puparatre certains affecte ou exagre n'tait que l'expressionde sa lgitime humilit devant le Seigneur et de son immenseamour.

    Notre amiti s'tait renforce depuis plusieurs mois car elles'alimentait de la mme nourriture spirituelle. J'ai eu la joie,je la mesure d'autant mieux aujourd'hui, de lui rvler exprs-

  • 16

    sment ce que je lui devais. Laissez-moi vous lire une lettreque je lui crivais en novembre dernier.

    A Mas Jacob. Personnage chapp de l'Ancien Testament pour attirer

    la curiosit sur le Bon Dieu. Et ce mystrieux bonhomme tient cach sous son ample

    manteau un gros morceau de soleil dont il m'a donn un(( miette.

    (( O Max Jacob, tu m'as apport de l'or dans un crin,

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    nous ; le matin du 1-5 mars (nous a%-ons appris sa mort le 14)dans notre messe quotidienne il est pass du mmento desvivants au mmento des morts. J'ai senti alors un grand dchi-rement, j'ai senti l'absence. La prire de Max Jacob soutenaitau-dessus de nos ttes un pan de ciel trop lourd, il n'taitvot que de prier pour tous (et il avait faire). Ct prire,sa prsence continue, plus sensible, peut-tjre de n'tre plusmasque par la misrable apparence. Mas Jacob prie encorepour tous, je le sens intensment.

    Mais nous avons des yeux qui s'attachent aux images mou-vantes et familires, un cur de chair qui aime sa manireoriginelle, des mains qui sont faites pour treindre d'autresmains et tout cet appareil prissable manciue la prsence deMax Jacob prsence qui, pour nous, n'tait pas matrialiseseulement par vuie visite rare mais par sa continuit, saconstance, son ubiquit. Sur le canevas d'une journe Saint-Benot, il y avait des points fixes, des points obligs oii l'onrencontrait avec certitude Max Jacob : c'tait la messe du.matin, le chemin de croix vespral, la prire du soir, la routede la poste, l'arrive du car, chaque artisan de chaque rue, lesabotier, le chai-ron, l'bniste. Le pote tissait sa vie d'aptreindit toutes ces enclumes, toutes ces choppes, toutesces boutiques o s'labore la vie du pain quotidien. Quel filet !Quelle trame d'oi le souvenir ne peut s'chapper, l'air qu'onrespire passe et repasse travers les mailles seri'es et l'aira une odeur d'absence, qui n'est pas du deuil mais quelquechose de beaucoup plus dchirant, beaucoup plus tenace. Nouspleurons peine un mort, nous souffrons l'absence.

    Les aptres, au soir de l'Ascension, ne pleuraient plus leChrist mort, comme au soir du Vendredi Saint, mais ils sesentaient dsempars, isols, dpourvus, abandonns..., et cecijusqu' la Pentecte. Ainsi, aprs la mort de Max Jacob, cen'est pas tant un mort que nous pleurons, il ne peut gure trequ'auprs de ce Dieu qu'il a tant aim mais nous sommestristes parce que sa mort nous laisse seuls, dpourvus, dsem-pars, abandonns, car nous n'aurons plus pour rchauffernotre foi l'ardent rayonnement de la sienne.Mes amis, en vous parlant ainsi ce soir, je crois rendre

    Max Jacob un peit du bien qu'il m'a donn ; nous auronsprobablement longtemps besoin de ses prires, en attendantil a peut-tre encore besoin des ntres, aussi si vous le voulezbien je prononcerai en votre nom l'admirable prire du canonde la messe qit'il rptait chaque matin pour tous ses amis.

    Souvenez-vous aussi Seigneur, de votre serviteur MaxJacob qui nous a prcds avec le signe de la Foi et dort dusommeil de la Paix.

    Docteur Georges DUBAND.

  • a mort d'un pote (1)

    Ainsi que l'a crit Roger Lannes, nous ne savions rien, nousnous approchions de cette mort la fois de tout prs, par lecur, et distance par l'imagination, une distance effrayed'elle-mme, qui levait des images auxquelles le cur ne voulaitpas croire. Et pourtant !...

    Ainsi chaque pote, chaque ami, tenait en lui une placeouverte, une place nue, une place comme un nid pour l'oiseaudes anges, une place chaude secrte, prte oii viendrait unjour habiter l'histoire des derniers moments de Max Jacob.

    Notre ignorance, c'tait aussi, si l'on veut, une de ces vitresblanches qu'on met dans les cathdrales lorsque les vitrauxprcieiix sont l'abri.Je remonte le vitrail, j'ose peine le tenir entre mes bras.

    Il me semble que j'entre avec lui dans cette cathdrale deQuimper que Max aima toute sa vie, et qui ne ressemble aucune glise au monde, et sous les cloches de laquelle, pendantla guerre de 40, je relisais les lettres admirables oii il meparlait d'elles.Je remonte le vitrail, dans les yeux, dans l'me de ses amis,

    nous tous, vous souvenez-vous, runis dans une chapelle del'glise Saint-Roch, quelques jours aprs sa mort, pour lepleurer, pour prouver l ce qu'un symbole peut avoir de plussaignant, de plus ternellement ml la vie, de plus urgent.Ce jour-l, la ville prisonnire eut ce battement de cur autond d'une chapelle sombre, un petit groupe muet de chagrins,constern d'horreur ; mais port, soulev par la mme prsenceinfaillible, par le don de chacun ce martyre, o notre libertrefltai tses lois inexpugnables.Je viens d'avoir l'motion de rencontrer le docteur qui a

    entour les derniers moments de Max Jacob, qui l'a soign,veill et grce auquel la vrit nous est donne sur ces instantsimmenses. Il veut que je taise son nom. Pendant plus de troisans, il fut intern Drancy et ses nuits sont encore pleines decauchemars. Dans ses silences, je devine tout le bien qu'il a faitet qu'on connatra un jour. Par moments-, il semble encoreflchir sous le poids de souvenirs atroces. Mais ceux que Maxlui a laisss sont si beaux qu'on les entend dans sa voix...

    (( Ce qu'il faut dire, avant tout, c'est qn'il roulait mourir.Il ne lutta pas une seconde. Son abandon fut total, calme,accord soi. Rien d'humain ne pouvait rien pour lui, rien

    (1) Article paru dans Posie 44 (N" 20) publi avec la per-mission de l'auteur.

  • 20

    d'inlnimain non plus, car la mort tait la seule chose de lavie qu'il souhaitait encore.

    (( Lorsqu'il arriva Drancy, il ne fit rien pour se faire coii-natre de nous. Il partagea le sort des autres dtenus, il siiivitleur groupe, seul entre tous, anonyme, inconnu, parqu dansla masse.

    (Inconnu ? mais seulement de ses compagnons ! car les Alle-mands savaient trs bien qu'ils envoyaient dans l'anonymat dela prison l'un des plus grands potes franais).

    (( Rien, il ne fit rien ! Si nous avions su qu'il tait l, nousl'aurions entour ds le dbut, soign plus vite ! Mais non,il tait trop tard. D'aprs l'volution de la maladie, il semblecertain qu'il avait cette broncho-pneumonie avant d'arriver Drancy. En voyage, peut-tre ? Son arrestation avait t unchoc propre l'affaiblir et il tait peu couvert, il n'avaitpresque rien sur lui.

    ...Tout de mme, quelques jours plus tard, il se dcida, ilaborda un mdecin dtenu lui aussi, signala une douleur dansle dos, une gne dans un j^oumon. Examin, jug trs malade,il entre l'infirmerie ; on sait que Max Jacob tait ce mourant,car tout de suite il fut un mourant.

  • 21

    J'coute encore la voie. Cet homme qui est un mdecin,c'est--dire celui qui voit souvent mourir a t si frapp dusigne de cette mort, qu'il me rpte et rpte toujours avecune sorte de surprise absolument fervente : (( "Ce fut incroyable,il ne voulait plus que mourir ! O Max couch dans l'infirmerie

    ; et cette infirmerie veillantdans ce lieu des mille et mille douleurs et Mas veillant plusloin que son corps ; mart.yr, mais de bien avant cette heurequ'il voulut, qu'il sut faire de tonte paix ; heure exemplaireque nous pouvons maintenant accueillir dans notre vie, heureclairant sa vie lui comme il le voulait, parce qu'il tait ungrand pote et un grand croyant et qu'il n'existe pas sur laterre de muraille assez haute pour empcher les oiseaux demourir dans leur vol.

    YANETTE DELTANG TARDIF.

  • 65 ascensions de Tlax ]acob

    C'est en 1917 que je rencontrai pour la premire fois MaxJacob, Les hasards de l'autre guerre m'avaient amen auBourget, prs de Paris o je pouvais aller de temps en temps.Un de mes camarades de ma formation tait des amis de Max

    ;

    il m'emmena un jour Montmartre pour le voir. Nous trou-vmes Max dans son rez-de-chausse de la rue Gabrielle.On descendait quelques marches pour pntrer chez lui.

    C'tait presque un sous-sol ; une chambre assez misrable,encombre de livres sur des rayonnages de bois blanc

    ;prs

    de la fentre, une table o des dessins et des gouaches moititermins voisinaient avec des pots de couleurs, des morceauxde pastel et des dtritus de cigarettes, dans un tonnantdsordre.

    L'accueil de Max fut tout fait cordial, et au bout dequelques minutes de conversation, je compris que j'avais unami de plus. De fait, nous n'avons pas cess de nous voir,depuis cette poque, ou, du moins, de rester en rapport decorrespondance. Que n'ai-je conserv ses lettres 1 Elles m'ai-deraient, aujourd'hui, rassembler mes souvenirs...Max tait, l'poque, peu diflfrent, physiquement, de celui

    que nous avons toujours connu. Dj blanc et presque chauve,bien qu'il n'eut qu'une quarantaine d'annes, il avait ce mmeregard aigu et un peu malicieux, cette promptitude de paroleset de gestes, cette mme vivacit d'allure que sa sant dfi-ciente avait un peu ralenti, ces derniers temps.Quand je le vis, sa conversion au catholicisme remontait

    une anne ou deux peut-tre. Par une sorte de pudeur asseznaturelle, il ne m'a jamais racont par le dtail, les tapesde sa conversion, si ce n'est cette apparition qui avait achevde le dcider. Il tait tourment, cherchant la vrit et sedemandant ce qu'il devait faire, quand, un soir, au cinma, ilcessa, pour un moment, de voir le droulement du film ; laplace des images, sur l'cran, le Christ crucifi lui tait apparu,et l'avait regard ; il en conserva, pour toute sa vie, unbranlement profond et, pour son Sauveiir, une sorte de ten-dresse mue et familire dont on retrouve la traoe danscertaines de ses posies. Aussi, sa foi tait simple, sansdiscussion, presque enfantine ; et ce n'tait pas la moindresurprise, que de trouver chez cet homme si intelligent et- si fin,une acceptation aussi peu conditionne de l'enseignementreligieux, mme pour les dogmes les moins faciles croire. Etl, se retrouvait le temprament mystique de sa provincenatale, cette Bretagne qu'il aimait tant et qui lui avait lgucette facilit dans la croyance.

  • 24

    Tant que je restai au Bourget, je pus revoir Max assez:frquemment. Il nous arriva mme plusieurs fois d'aller passerensemble une grande partie de la nuit, l'adoration perp-tuelle, dans la Basilique du Sacr-Cur de Montmartre quitait deux pas de chez lui. Il tait profondment difi dumonde qu'il y coudoyait, surtout de petites gens auxquels semlaient des ouvriers qui, aprs leur journe de travail,venaient encore consacrer une partie de leur nuit la prire.C'tait de lui, du reste, je dois le dire, qu'tait venue laproposition de ces nuits Montmartre que n'effrayaient pastrop le noctambule qu'il avait t et qu'il tait plus ou moinademeur.

    Car sa conversion n'avait pas fait de lui un saint... Il restaitattach son pass, et lui qui vivait comme un pauvre etn/angeait dans un petit restaurant du voisinage, ne rsistaitpas une invitation mondaine. Il en recevait assez frquem-ment, et, enfilant un habit impeccable, il partait joyeusementfaire la fte. Ce qu'il devait tre dans ces runions, je l'imagineun peu : ptillant d'esprit, comdien endiabl, mauvaise langue il avait 1 dent trs dure contre ceux qui lui dplaisaientou lui avaient nui et surtout, ayant la plus triste facilitpour s'abaisser dplorablement au niveau de son entourage...Au petit matin, il rentrait dgot de lui et du monde oi ils'tait laiss entraner, et, deux jours aprs, il recommenait...Entre temps, il avait de sincres remords. Il se prcipitait auSacr-Cur, pour se confesser et communier, mme... Etait-iltranquillis par ces contritions plutt douteuses ? il ne semblegure. Lui-mme ne disait-il pas, un jour semblable : Pauvrecher Seigneur ? Demain matin, je me roulerai ses pieds, etil sera encore une fois dupe ! Ce n'tait pas seulement unbon mot, c'tait une espce de spculation sur la misricordeinfinie du Pre, c'tait surtout, je crois, le sentiment net qu'ily avait, dans sa vie, quelque chose qui ne marchait pas, que ane pourrait pas durer, et qu'il lui faudrait aller droite ou gauche...Mais sa foi tait intacte, et avec l'aide de la grce, il choisit

    d'aller droite.Max sentait bien, en effet, que, tant qu'il resterait dans son

    milieu de littrateurs et d'artistes, sa conversion serait incom-plte.

    Parmi tous les amis que lui avaient valu sa bont relle etl'amabilit de son accueil, il y avait, sans doute, quelqueschrtiens. Je me souviens, entre autres, avoir rencontrer aveclui, Stanislas Fumet dont Max admirait non seulement lesqualits d'crivain, mais plus encore, la vie entirement etconsciencieusement chrtienne. Beaucoup d'autres ne croyaient rien, quand ils n'taient pas nettement hostiles. La plupartmme, il faut le dire, ne prenaient pas Max au srieux, cequi lui tait trs pnible. On lui insinuait perfidement qu'il

  • 25

    avait trs bien choisi son moment pour se convertir et qu'ils'tait fait ainsi une rclame excellente. Avouons que sa vie,en apparence bien peu change, autorisait, plus ou moins, untel jugement.Max ne pouvait pas ne pas sentir l'impasse. Peut-tre

    pourrait-on dire de lui qu'il avait des sincrits successives 2En tout cas, pour moi qui l'ai vu souvent dans l'intimit, quiai pri avec lui Montmartre, je ne puis douter qu'il ne ft ces moments-l parfaitement sincre dans sa foi. La suiteallait le montrer.Ds ce temps, il lui fallait s'avouer que, tant qu'il resterait

    Paris, incapable d'chapper au milieu plus que ml, quitait le sien, sa conversion n'avancerait pas...

    Mon sjour au Bourget avait dur environ six semaines.Quand il fut termin, je dus retourner au front. Mais je restaisen relations avec Max, par lettres, d'une faon rgulii'e.La fin de la guerre arriva, et, quelques mois aprs, la dmo-

    bilisation me permit de retourner Paris et de revoir Max.Cette fois, j'avais repris ma soutane. Il m'accueillit avecplaisir, mettant ses marques d'amiti une nuance de respectque je n'ai pas oublie. Un jour je ne puis me rappeler ladat exacte il m'avoua qu'il dsirait quitter Paris, et medemanda si je ne pourrais pas lui trouver une installation la campagne, prs d'un bon cur, pour pouvoir travaRler etprier tranquille.

    Cette demande me causa autant de joie que d'embarras. Ilfallait, tout prix, lui trouver ce qu'il cherchait et qui seraitsans doute pour lui, le salut. Aprs mres rflexions, j'eusride de lui conseiller le sjour de Saint-Benot-sur-Loire. Nonseulement il y trouverait l'aide matrielle et morale d'unexcellent prtre que je connaissais et vnrais depuis longtemps,mais le voisinage de la magnifique basilique de Saint-Benot,une des plus belles et des plus mouvantes glises romanes detoute la France ne pouvait le laisser indiffrent.Le cur consult, consentit recevoir mon ami.Max fut enchant de la situation que je lui offrais : Saint-

    Benot n'tait pas trs loin de Paris o il aurait besoin deretourner de temps en temps voir son diteur et ses marchandsde tableaux, pas trop isol, assez tout de mme pour n'trepas trop drang par les visites.

    Bref, cela lui semblait l'idal.Peu de temps aprs, il arrivait avec ses livres et son petit

    bagage et s'installait, ravi, dans une chambre au !'' tage dupresbytre.Le lieu lui plut : la vieille ville monastique groupe autour

    de la grande glise, la Loire talant ses grves blondes quelques centaines de mtres, avec le curieux village du Portde Saint-Benot, le bois de sapins au bord du fleuve, les champs

  • 26

    de bl dxi Val d'Or... Combien de fois il a promen ses amisdans ces paysages admirables !Mais rien n'est parfait ici-bas, parce que nous-mmes nous

    ne le sommes pas.

    Si Max avait trouv Saint-Benot le recueillement, une viefacile, l'absence de tentations, il tait, par contre, tomb dansun milieu si diffrent de son milieu habituel qu'il eut toutesles peines du monde s'y faire. J'ai souvenir, lors de cespremires annes, de ses dolances parfois amres. Et pourtant,il s'tait fait des amis, certains mme, pour qui il avait nonseulement de l'affection, mais mme de l'admiration pour leursimplicit de cur, leur droiture et leur bont.Mais tait-il possible que le contact journalier de cet homme

    sensible l'extrme et qui attachait une valeur au moindremot avec les habitants de cette campagne, fier certes, maissouvent un peu rudes dans la forme ne ft pas difficiles ?D'autant qu'il n'tait pas du pays et que, souvent, on lui fitsentir plus que de raison. Je le voyais frquemment, l'poque,et sentais crotre en lui la fatigue de son sjour Saint-Benot.Je finis par lui conseiller de rentrer Paris, ce qu'il se dcida faire.

    Il habita, pendant deux ans, un htel de la rue Nollet. Bienque je sois all l'y voir plusieurs fois, j'ignore presque tout desa vie pendant cette priode. C'est ce moment qu'il futnomm Chevalier de la Lgion d'Honneur. Il me dit qii'il allait,de temps en temps, au Sacr-Cur, en taxi : le trajet tait,en effet, beaucoup plus long qu'autrefois !Que se passa-t-il ? Je ne sais. Toujours est-il, qu'il comprit,

    Paris, quel refuge St-Benot avait t pour lui, et, un beaujour, sans rien dire personne, il revint.Les conditions taient changes. M. le Cur ne pouvait plus

    le recevoir, ni le petit monastre oii on lui avait aussi donnl'hospitalit son 1'" sjour, car les moines taient revenus Saint-Benot et occupaient le local.

    Il dut donc sjourner pendant plusieurs annes dans un deshtels de la ville, en attendant qu'il pt loger chez l'habi-tant (1).

    Mais la contre-preuve tait faite : Max dsormais ne re-tournerait plus Paris, si ce n'est en passant.

    Et c'est alors, vraiment, que je vis Max se rapprocher deDieu. De visite en visite, je suivais les progrs de notre ami.Non seulement il avait accept le milieu qui l'avait fait

    souffrir, mais il tait devenu avec tous tellement bon, aimableet comprhensif, qu'il avait t (( adopt . Il tait vraiment.

    (1) Il reut l'hospitalit jusqu' son arrestation chez MmeVve Persillard, place du Martroi.

  • du pays, et tous, Saint-Benot, connaissaient et estimaient" Monsieur Jacob .

    Il y donnait un exemple de vie chrtienne qui devint, peu peu, presque hroque.Lui qui, autrefois, se levait tard, avait pris la terrible habi-

    tude, pour suppler la carence des enfants de chur, d'allerservir la messe de son pasteur, 6 heures et demie, chaquematin, en toutes saisons.En plus, le dimanche, il tait assidu la grand'messe, dans

    les stalles, au milieu des hommes de la paroisse.Il en tait venu la mditation quotidienne et chaque jour^

    pendant un temps fix qu'il ne diminuait pour aucune raison,il s'imposait, pour viter les distractions, d'crire sa mdita-tion, et, suvent, il les envoyait, en toute simplicit, ceux deses amis qui elles pouvaient faire du bien. Un livre rcent (2)sur Max Jacob, vient d'en publier un certain nombre.En semaine, il s'tait mis faire son Chemin de Croix,

    chaque jour, et, dans les dernires annes, il prolongeait deplus en plus cet exercice.Un jour en 1943 comme il sortait de l'Eglise, o il

    venait de rester assez longtemps, il rencontre la gouvernantede M. le Cur >Je me souviens aussi, avec quelle simplicit il avait accept

    de guider un groupe de jeunes gens que j'avais amens faireune retraite St-Benot, au cours des vacances de Pquesde cette mme anne 1943. Il les tint en haleine plus d'uneheure, leur donnant des diffrentes stations, le commentairele plus original et aussi le plus utile, et ces jeunes gens seretirrent tonns et profondment difis.Comment une telle vie, mene avec une persvrance obstir

    ne, n'eut-elle pas -produit ses fruits ?Tous ceux qui l'approchent, dsormais, se rendent compte

    quil a enfin abord au rivage de la paix... Cette paix intrieurepromise par le Christ ses aptres, dont Saint Benot, le

    -patriarche des moines d'Occident, avait fait, autrefois, lecentre de la spiritualit de ses disciples et qui reste, aujourd'hui'encore, le but de l'ascse bndictine.

    Il ne se plaint plus des difficults de sa vie, ni des incon-vnients de sa sant devenue assez prcaire. Aimable avec tous,m^nie avec les importuns, il se rend compte de l'action queson exemple peut avoir sur ses amis ou ses visiteurs et leurparle simplement, quand s'offre l'occasion, des choses de Dieu.

    Il s'tait dvelopp dans sa ligne. Ce caractre de confianceun peu enfantine qui m'avait frapp en lui au dbut de saconversion, s'tait accentu. A ct de beaucotip de complica-

    ("2) Max Jacob, mystique et martyr, par Pierre Lagarde(Editions Baudinire).

  • 28

    tions d'esprit, il avait une grande simplicit de cur et unparfait abandon la Providence paternelle de Dieu. Il en adonn la preuve hroque dans l'humble et soumise acceptationde son martyre : J'ai confiance en Dieu... Je le remercie du

    martyre qui commence , crivait-il dans sa dernire lettre,adresse son cur.Comment rsumer mieux que par ces simples mots, l'immense

    chemin parcouru par Max depuis sa conversion, et l'tat d'uneme parvenue aux plus hauts sommets de la vie chrtienne ?

  • 39

    Il y a au narthex de St-Benot, ce narthex que Max a sisouvent expliqu aux visiteurs de la Basilique, un chapiteaubien curieux. Il se trouve sur l'une des piles de la face Sud.Sur la seule partie historie qui lui reste, on voit trois per-sonnages : un ange et un dmon tenant chacun par une mainle petit personange nu qui, dans l'iconographie du Moyen-Age,symbolise une me.

    C'est l'image spendide et tragique de toute me chrtiennequi se trouve rsume dans cette image saisissante. La lutteentre l'ange et le dmon, elle se poursuit implacable, dans lavie de quiconque a entendu l'appel du bien et de Dieu et n'apas reynonc y rpondre.

    Il dpend de nous que la victoire reste l'ange sur le dmon.Si nous savons reconnatre humblement ce qu'il y a de mau-

    vais en nous, si nous voulons bien nous voir imparfait et faibledevant l'attirance du mal, si nous consentions, trop souventhlas ! nous reconnatre coupables mais si, par contre,nous refusons d'en prendre notre parti, si chaque erreur etchaque chute est suivi d'un effort de rsurrection, si, dansnotre misre, nous n'hsitons pas tendre des mains suppliantesvers Celui-l seul qui peut nous secourir et nous sauver dumal, alors l'issue de la lutte ne sera pas douteuse.

    Notre ami Max Jacob avait fait tout cela, et l'ange atriomph.

    Chanoine F. WEILL,Professeur VEcole Ste-Croix d'Orlans.

  • Tigure spirituelle de Max Jacob

    La rgle d'or de toute spiritualit est la simplicit. Appro-fondir le fait essentiel de l'existence de Dieu, en vivre lesexigences hroques devient aprs sa conversion la tche deMax Jacob catholique. Brillante intelligence et nature trscomplexe, il unifiera sa vie sous le signe de cette obsession ;(( Mon Dieu, vous existez .Le lent travail de sanctification ne se fait pas sans luttes et

    sans larmes. Plus l'me est pntre de la grandeur et de labont de Dieu, plus elle regrette et mprise ses errements, sesbassesses. Dou d'une sensibilit trs dlicate, instruit par lagrce et l'inefiFable majest divine, l'homme pcheur est dchir l'ide de ses fautes Je me considre comme un homme

    1 abominable. J'ai des moments de dsespoir complet considrerl'horreur de ma vie, tissu dont pas un fil n'est pur . Seulscens qui ne connaissent pas la jalousie de la Saintet parlerontd'exagration : Lorsque Max Jacob crivait ses lignes, enmditant sur l'enfer, il avait atteint ce degr de la vie spiri-tuelle o toute imperfection devient intolrable Dieu estjviste disait-il avec angoisse ; et lorsqu'on lui rpondait quesa bont veut sauver les mes

  • 32

    de mditation matinale. Je pourrais rester dans mon lit auchaud, et je suis sans feu pour penser vous. Je vous prie deprendre en considration les efforts d'un malheureux stupidequi vous les offre avec l'espoir de racheter ses fautes, sestourderies lgres, ses vanits, ses irritations, ses colres etses sensualits. Puisse-t-il viter l'enfer qu'il a tant de foismrit .

    On a du mal encombrer de mots la mditation quotidiennede Max Jacob. Elle est la simplicit mme

  • Sa-

    de l'uniforme mdiocrit, s'est fraye uu sentier qui mne,ux sommets.

    Cette faon particulire de sentir et de parler pouvait parfoissembler peu orthodoxe. Mais Max Jacob avait trop le sens del'autorit de l'Eglise pour chercher en dehors d'elle les vritsde la foi. Ce qu'on prenait pour erreur n'tait qu'omissionvolontaire

  • 34

    Pote et ChrtienLe Christ est mon bienJe ne dis plus rien, n

    Sa pense, d'ailleurs peu connue encore, est, sous Ja forme-du paradoxe, de l'homme qui cherche, du chrtien qui trouve,du pratiquant sur la voie des Saints.

    Pntrs de cette Saintet qui manait de lui, ses amisavaient peine le croire lorsqu'il se dclarait le serviteurinutile .

    Abb Franois GARNIER,d Grand Sminaire d^ Orlans^

  • UN CHEMIN DE CROI^D6 A^*^^ J^COB

    Sur le point de prendre la plume pour esquisser quelquestraits du cher ami que nous pleurons, il me revient l'espritune anecdote qui reflte exctement je crois, le srieux qu'ilprenait toutes choses.

    C'tait au cours d'une rception Paris, en prsence d'unprtre et d'une socit d'lite, Max venait de parler longuementsur le Sacr-Cur. L'ecclsiastique tonn de lui dire : Vousallez donc la messe ? et notre ami de rpondre srieux(( Monsieur l'Abb, quand j'ai deux sous, c'est pour aller lamesse ! Boutade, dira-t-on ? Non pas, Max, part quelquesbonnes rparties, a toujours gard cette note de srieux qu'ilconsacre toutes choses, mme celles qui nous sembleraientde minime importance. Et un jour que je m'en tonnais devantlui, il me fit cette simple rponse Venez me voir tantt, quatre heures, vous comprendrez . Je n'eus garde de manquerau rendez-vous.A l'heure fixe, Max me prit familii-ement par le bras, et

    aprs avoir travers l'alle de tilleuls, me conduisit la Basi-lique, sa maison .

  • 36

    transmit Pierre Lagarde (1), nous retrouvons nombre de sespenses Je n'en cite que quelques-unes qui m'ont particu-lirement frapp pour les avoir entendues exprimes au coursde ce chemin de croix fait en commun.

    C'est ainsi que vous m'avez donn, ainsi qu' tous, assezde jugement pour comprendre votre rle terrestre, afin que jepuisse essayer de vous imiter et en vous imitant de me sauver.Puisque vous avez attach mon salut un prix aussi grandque votre crucifixion, c'est bien clair : cela prouve que le butde ma vie est mon salut... Il s'agit donc bien dans voti'e mortde m'indiquer ce qu'il y a de plus prcieux pour moi, monsalut !... Cette pense du salut ternel devrait toujours meguider. Malheureusement le dmon est l, l'orgueil est l, lasensuaiit, etc.. (2).

    Son but au travers duquel tout prend vie, c'est son salut^et chaque matin, Max Jacob m'avouait faire son chemin decroix pour son salut ternel...Et le soir il le faisait pour ceux de sa race et de toute

    l'humanit. La mditation de la passion tait son meilleurapostolat. Il y fait allusion dans sa 2 mditation sur la finpour laquelle nous sommes crs (page 142).

  • 37

    imi, n'ayant que ses bourreaux pour ricaner et insulter sortagonie. Nous savons qu'il est mort pour les siens lui aussi,r'en ai maintenant l'intime conviction. Si l'on me demandait?e qu'a t la vie de Max, je dirais (( un drame en action ;ermin par le martyre.Vous qui l'avez peut-tre moins connu, du moins sous cet.

    mgle, vous comprendrez ds lors, tout le sens de sa poigneJe main, o passait tout son cur, son regard pntrant etompatissant. Et si l'on ajoute la passion d'ap/)stolat nonntempestif qui le dvorait, la lutte intime de ce drame de lahair et de l'esprit, de l'ombre et de la himire, de Dieu et deSatan dans l'me, on comprend que Max ne fut pas seuleuentm martyr dans sa mort, qu'il le fut en toute sa vie de convertit que sa mort ne fut que l'aboutissement mystique et normal'une vie toute consacre la lutte et la conqute de Dieu.Voil tout le sens de la lettre ultime de Max Monsieur le

    Dur de St-Benot J'ai des conversions en train. J'ai confiancem Dieu, je le remercie du martyr qui commence .Et je ne puis mieux faire pour mettre le point final cette

    trop brve esquisse que de citer ce passage de M. PierreLagarde qui a si bien compris notre ami tous, il rsume tout3e que m'a rvl le chemin de croix avec Max a Convertir,prier , ce n'est pas en vain, que ces deux mots figurent dans?et ultime message. Ils marquent le souci dominant, le souciunique de sa vie de chrtien.Qui n'a pas saisi ce drame, n'a compris qu'imparfaitement

    le grand ami que nous pleurons.

    Maurice GOTJCHAULT,Vicaire Chevlly.

  • Vi'ste de la S^slqueaVec Aia> Jacob

    (SOUVENIRS DE JUILLET 1943)

    En ce beau mois de juillet o le fertile Val d'Or, resplen-dissant d'une sereine lumire, semble chanter au Crateurl'Alleluia en 6 mode de la Messe de Saint-Benot, pkisieurssminaristes d'Orlans aimaient venir passer, l'ombre dela vieille glise abbatiale, quelques journes de recueillementet d'amiti. La joie franciscaine s'y panouissait dans la paixbndictine. Ces jours de rcollection se couronnaient en beautpar la fte de Saint-Benot. D'autres confrres du sminaire,attirs par une mme pit envers le patriarche des moinesd'Occident, nous rejoignaient pour cette grande fte du diocse.Ensemble nous entourions notre vque et prtions notreconcoui's aux crmonies liturgiques... Nous esprons le retourde ces beaux jours. En attendant, il nous est bien doux d'envoquer le souvenir.

    Grce la bienveillante hospitalit des R.R. Pres bndic-tins qui nous oiTvraient l'accs de leur jardin, nous allionstenir nos (( chapitres dans un minuscule vallon que nousappelions le (( Val de grce . De l nos yeux pouvaient sereposer sur la vue pacifiante du beau chevet roman de labasilique, et, dans ce cadi-e de nature et d'art, nous changionsnos penses et prenions de fcondes rsolutions... Journesvraiment bnies, oi nous sentions le prtx de l'union des mes,s'entr'aidant monter vers un mme idal.

    Mais une autre me tait l qui nous attendait, humble etdiscrte. Dieu voulait se servir d'elle pour nous faire du bien^Car un

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    profondment le charme austre. Tout y respire le renonee-3ient, la pnitence, la componction, dans la beaut impression-nante des colonnes trapues et des chapelles sans ornements,images des mes qui se contentent de la pure foi et savent sepasser des consolations sensibles. Et Max Jacob nous faisaitadmirer la robuste simplicit de la pit antique.Nous remontions dans l'glise baigne de lumire et chantant

    Dieu le pome de ses votes lances, de ses arcs triomphaux,de ses sculptures somptueuses. Il nous faisait part de sesinterprtations mystiques. Il s'arrtait avec amour devant ladlicieuse Vierge du 14e sicle, nous faisait admirer la candeurde son albtre, le geste auguste et gracieux dont elle treintson divin Enfant, la bont, l'inexprimable douceur de sonsourire Virginal et Maternel... Mais horreur ! Sur la muraillequi lui fait face il nous montre la grimaante image d'un chefnormand, vision de violence et de haine qui fait contraste avecla

  • a " litargie " de Mqx Jccoa6 h. 15. L'Augelus sonue. Sous les votes du narthex, par

    tous les temps, par le gel et la neige, passe la silhouetteencapuchonne de Max Jacob.Quand j'arrive la sacristie, Max est dj sa place dans

    la chapelle, il a prpar les burettes et allum les cierges. Ilpose son gros missel sur la corne de l'autel, prpare ses pages,court la sacristie pour demander le nom du saint du jour,s'il a quelque doute. S'il n'a pas le texte, il se rattrapera tout l'heure en approchant sa tte prs du missel pour lire avecle prtre oraisons, pitre et vangile.La messe commence ; Max s'meut s'il ne trouve la sonnette

    liturgique, court aussitt sa recherche... Il l'a trouve enfin...il l'agite nergiquement.Le voici debout ct du prtre pendant les premires

    prires auxquelles il rpond haute voix.Au

  • 42

    Souvent notre pnitent n'est pas seul au Chemin de Croix :il a prs de lui quelque nophyte qu'il initie aux m5'stres duChrist, voire quelque sminariste en vacances, heureux deprofiter des leons d'un matre inattendu.Au moment de la prire du soir, Max Jacob a repris son

    exercice favori. Il le poursuit encore parfois durant les pre-

    mires dizaines du chapelet. Mais voici qu'on entend sa d-marche, alourdie par un accident. Il rejoint sa stalle, autransept nord, o les fidles sont runis. Sa voix forte rpondpar saccades, quelquefois un peu trop rapidement, la secondepartie de l'^ Ave >i. Il chante d'une voix ferme le u Tantumergo . Sa rponse au

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    tions de prires, des conversions qu'il a eu train sesamis dans la maladie, ses prisonniers dans la dtresse. Surtous ces malheurs et ces malheureux il verse des larmes.Ce dernier entretien sera toujours trs bref car Max n'aime

    pas veiller ; sa mditation, sa messe et sa communion quoti-diennes l'astreignent un lever matinal. A qui veut l'entendre,il dclare que sans sa communion du matin, il est mal l'aisetoute la journe, qu'il ne peut plus travailler, que rien ne vaplus pour lui.

    L. HATTON,Vicaire Saint-Benot.

    Quelques aspectsde "iHomme du monde

    Chaque fois que je rencontre Monsieur Jacob en ville, jedois lui adresser la parole ; si par malheur une fois, deuxfois, je passe prs de lui en le saluant rapidement, sansattention spciale, le soir mme, o le lendemain, il me prend part : M. l'Abb, qu'avez-vous contre moi ?

    Peut-tre la perscution dont il est l'objet et l'ingratitudede tant d'amis de passage l'ont rendu misanthrape. Toujours,il a peur d'tre trahi, entour d'ennemis. M. l'Abb, suis-jesr de n'avoir pas d'ennemis Saint-Benot, me rpte-t-ilsouvent ?

    Max a un sens musical trs affin... il fut professeur depiano au temps de sa jeunesse, mais je ne l'ai jamais vutoucher aucun instrument. Par contre, il porte avec sret

    des jugements sur tout ce qu'il entend l'glise : les chantsde la chorale ou le jeu du grand orgue.Max est aussi un conteur admirable. A table, sa prsence

    fait oublier le menu ; une histoire banale connue de tout le

    monde prend sur ses livres un nouvel intrt. Beaucoup l'invi-tent des repas par amiti, mais aussi sans aucun doute

    cause de son art de diseur dans lequel il est pass matre.

    Max est un gros fumeur. Il fume certainement bien plusqu'il n'est ncessaire pour obtenir le gris avec lequel il

    compose ses gouaches. Depuis la carte de tabac, sa portion

    est notoirement insuffisante. Max me sollicite sans cesse : M. l'Abb, n'auriez-vous pas une miette de tabac t)Our le

    pauvre Jacob . Souvent je me laisse apitoyer... Cependant

    il se rend trs bien compte que je ne lui rserve qu'une partie

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    de ma portion. Il n'en exprime aucune plainte, ajoutantseulement d'un air malin M. l'Abb, les jeunes gens n'ontpas besoin de tabac...

    L. H.

    TRax lacob " Homme d'uvres"

    Durant son premier sjour Saint-Benot, le pote s'astreintpresque chaque dimanche passer la soire au milieu desjeunes enfants d'un patronage naissant ; sa prsence met del'animation dans les jeux et les promenades, sa gnrositprocure des rcompenses aux plus mritants, ses talents demetteur en scne sont souvent mis contribution pour le plusgrand bien des acteurs et des spectateurs...Dans une promenade paroissiale Fontainebleau, il pousse

    la condescendance jusqu' chanter la chansonnette son tourpour la distraction de tous les voyageurs.

    Les services qu'il rend aux uvres paroissiales sont aussimultiples qu'inattendus. Tout naturellement il ofifre son con-cours la rdaction du Val d'Or et compose notredemande pomes ou compte-rendus.

  • 45

    l'mouvante confrence que le converti de Montmartre leurdonna sur le Sacr-Cur, avant la prsente guerre.Mais l'action du pote converti s'tendit bien au-del des

    limites d'une paroisse rurale. Elle s'exera surtout l'gardd'une pliade d'amis et d'artistes qui se groupent actuellementei socit sous le' nom des Amis de Max Jacob . Presquechaque jour, des visiteurs, des jeunes surtout, peuplent sasolitude. Beaucoup en viennent lui que pour les conseils oul'amiti du Matre , mais bientt, au bout de quelquesheures de conversation, ils subiront leur insu l'ascendantde (( l'aptre et la visite se terminera au pied des stationsdu Chemin de la Croix, voire la Sainte Table.Avec tous ses convertis, Max Jacob maintient de frquentes

    relations pistolaires. Il ne manque pas, s'il le faut, de relancerles plus tides. C'est pourquoi, chaque soir, l'on pouvait le voirse diriger vers la poste, porteur d'un volumineux courrier ;sous l'une de ces enveloppes, sa mditation du matin allaittrouver un nouveau destinataire.

    Lorsque, cette correspondance sera publie, elle rvlera l'in-fluence religieuse du pote sur toute une portion de l'litefranaise.

    L. H.

  • >ur une lettre de Alax Jacot(Ixllexions o un ami)

    Cher Monsieur le Cur, vous me demandez un article surMax Jacob. Quel souvenir pourrai-je voquer dans ce numrodu Val d'Or qui exhalera la tristesse d'avoir perdu notreami sans avoir eu la consolation de lui dire adieu ?Je prendrai pour thme la fin d'une lettre qu'il m'adressa

    au dbut de 1943 :...

  • i

  • rr)aH Jacob ^>1illllllillillllilllllltllll!llllllllllllllllllllllllllllillllilll

    trrjofn parnnf les jUFs

    Max Jacob n'tait pas un homme qui l'on donnait rendez-vous

    ;on savait o le trouver, il tait l'intersection des

    -ciemins du doute et de la souffrance. Il s'y trouvait justementmis par la Providence pour soulager, clairer, soutenir, sansrhtorique. Il avait trouv la vraie voie : celle de la Croix,il la suivait sa faon, apologtique, artisanale ; oui, c'taitun artisan du Christ sur le chemin de la Croix qu'il accom-plissait chaque jour, il en contemplait douloureusement chaquecaillou avec ses yeux de flamme mobile, ces mmes yeirx quibrlaient les curs d'hommes en les dpouillant.

    Il n'y avait rien d'automatique en cet homme singulier quel'on trouvait prcisment aux mmes heures, dans les mmeslieux, pour les mmes rites, rien, non rien de routinier. Iltait l'image d'une prire toujours nouvelle, il tait quelquechose sorti de notre me qui priait pour nous, pour nos yeuxd'Epinal, pour qu'ils ne soient pas lasss de regarder toujoursen nous-mmes dans l'abstraction du colloque intrieur. Il nousvitait la lassitude.

    Lui n'avait pas besoin de distraction; il avait Dieu en lui

    et sa vie tait la combustion d'une parcelle de Dieu. Je crois,oui, je crois bien qu'il tait un peu de ce Christ oubli le soirdu Vendredi-Saint et qui demeurait sur la terre depuis dix-neuf sicles. "Max Jacob l'avait endoss, maladroitementd'abord, avec fantaisie, avec ds alternatives d'lvations etde chutes, d'abandons et de reprises. Toutes ces luttes detrente annes avaient sculpt l'homme que j'ai connu il y aun lustre et dont j'ai suivi l'exnaussement suprme.En lui se rejoignaient l'ancien et le nouveau Testament,

    privilge messianique. Juifs au milieu desquels il est allmourir et pour lesquels il est mort l'avez-vous bien senti ?Avez-vous compris qu'il avait trouv ce Messie que vouscherchez depuis si longtemps et qu'il est mort quand il eutachev sa mission qui tait de tmoigner parmi vous ? Ilredoutait la mort (lui qui tutoyait la Vierge, gardait pourSatan et l'Enfer une frayeur hbraque) sa faible chair,pourtant bien mortifie, n'avait pas encore accept l'preuveoblige du purgatoire. Il sentait confusment qu'en lui une

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    parcelle de Christ n'tait pas tout fait assimile et qu'illui faudrait se purifier dans le feu redout.

    Mais le martyre accept : Je remercie Dieu du martyre'qui commence achve cette transsubstantiation commenceil y a trente ans. Voici le Chemin de Croix vcu cette fois-cidans la chair et dans le sang, l'oblation complte sur leGolgotha-Drancy.

    Amis Juifs, qui l'avez vu mourir, avez-vous entendu cetmoignage clatant, cette affirmation prodigieuse : Je suisavec Dieu .

    S'il tait mort chez nous, tout btement dans son lit mais non, il ne serait pas mort, je sens mille mains d'amitiprtes se nouer en une chane solide pour le retenir, on nel'aurait pas laisser s'en aller comme a enfin s'il tait mortavec des tisanes, des potions, des ventouses, des chemiseschanges 3 fois par jour cause des sueurs, toutes les petitestracasseries affectueuses qu'on appelle soins, on aurait puarranger une belle histoire. Nous aurions pu vous dire : Ona vu un ange genoux au pied de son lit, mme deux, mmeplus ; on a vu une flamme qui lui sortait du front, et puisune chelle aussi qui lui sortait du front pour aller jusqu'auciel, l'chelle de Jacob en somme, avec les anges, encore desanges, qui montent et qui descendent. qui sait ? on auraitpeut-tre vu le Bon Dieu lui-mme avec la Vierge Marie,pourquoi pas ? En somme on aurait pu vous arranger unepetite mystification digne du Jacob de la Butte. Mais, voyez-vous, rien de tout cela, il est mort parmi vous, sans artifice,sans tricherie, il s'tait dcant pour vous apporter, tout pur,tout cristal, comme un glaive de vrit, son tmoignage. Lesprophtes avaient annonc en Isral : (( Dieu va venir ;lui vous a dit : Je suis avec Dieu .

    Et c'est vous qui l'avez entendu, qui nous l'avez rapport.Comme elle est prcieuse votre parole. T'ai donn ma viepour cette Passion . Non, voyez-vous, on n'aurait jamaisrien imagin de plus essentiel.

  • tirelires, ratatins l-dedans avec des gros sous tout autour,ce n'est pas comme a que l'on aime le Bon Dieu.Pensez-vous qu'on va au ciel comme au Mont Saint-Michel ?

    Moi je vous dis : il y a l'Enfer, imaginez quelque chose commeune rage de dents qui durerait toujours c'est long toujours,et c'est bien pire qu'une rage de dents, mais il faut bien quevous compreniez parce que c'est grave, et c'est dfinitif.

    Alors je vais vous montrer ce qu'il faut faire ; on n'aimepas Dieu avec des ronds de lvres, a ne se peut pas. Il fautplonger hai-diment dans l'amour de Dieu, tant pis si c'est dur,tant mieux si a cote, il faut y respirer pleine poumonne,crier au Bon Dieu qu'on l'aime, mme si a n'est pas encoretout fait vrai, a vient aprs, avec la grce ! Sa foi tait massive comme un lingot d'or brut qu'il vous

    jetait sur les pieds. Elle rayonnait une chaleur diffuse qui vousempoignait aussi bien par la main, l'chin ou le cur quepar le cerveau.Tout cela commenait bien avant l'Angelus, quand l'insomnie

    se changeait en rveil. Alors, la mditation, comme une scr-tion habituelle, peine interrompvie par la nuit, coulait de satte, de ses paules, de son thorax globuleux et pench, parses doigts gourds. Je pense toutes ces prires tissant unlarge faisceau entre Dieu et la ville endormie dans la moiteurde ses plumes d'oie ; ce mdiateur familier appliqu commeun accent grave au-dessus de nos sommeils rapaces ; et quandje prends la rampe du sanctuaire, je la trouve toute chaudede cette main qui a essuy les brouillards nocturnes et larugosit de l'inconnu.Quand nous nous veillons il y a longtemps qu'il chemine

    par ces sentiers solitaires qui mnent l'homme Dieu.L'trange et froid chemin pour qui regarde du dehors, commeil est large et clair quand on emboite le pas tranquille de cebonhomme qui ne vacille que pour les yeux.

    Aveugle il a vaincu les tnbres.Superbe, il a vaincu l'orgueil.Transi, il a vaincu le froid,Dolent, il a vaincu la souffrance,Inquiet, il a vaincu le doute.Anxieux, il a vaincu l'angoisse.Il a appliqu sur toutes nos plaies ses deux mains

    [de charit.

    Merci, mon vieil ami, de nous avoir trac laborieusement'une voie lumineuse travers la nuit finissante.

    Docteur Georges DUBAND.

  • Ce tmoignage du Vasteur

    Je connais Max depuis 1921.Vers le mois de Mai de cette anne, M. l'Abb Weill m'crit

    pour me prier d'accueillir dans notre presbytre un de sesamis juif converti peintre, littrateur et pote qui dsirase reposer la campagne. Il semble M. l'Abb Weill que lepresbytre de Saint-Benot est tout indiqu pour ce sjour derepos. A Saint-Benot c'est le calme et la paix, c'est surtoutune basilique unique qui ne peut que convenir un artiste.Avant d'accepter, je dsire me renseigner moi-mme et

    je prends rendez-vous avec l'am Max Jacob, car c'tait lui son domicile de la rue Gabrielle.

    J'arrive chez Max un soir du commencement de Juin. Jele trouve, son retour d'un court voyage, dans une chambrepauvre et obscure situe au fond d'une cour sans soleil.Je suis peine arriv, que se prsente une pauvresse qui,,

    apprenant l'arrive de Max, accourt pour solliciter uneaumne. C'est une pauvre femme qui Max fait rgulirementla charit. Il lui fait une large aumne et la renvoie. Nouscausons. Max me raconte sa conversion. Je devine facilementsa vie spirituelle... Il me raconte aussi sa vie de relationsmondaines qui l'obsdent, et son dsir de repos.

    Sa conversion, sa modestie, sa charit m'ont vite gagn,et je lui offre un sjour d'un mois dans mon presbjrtre.Max arrive le 24 Juin il choisit une chambre, la plus

    modeste de la maison donnant sur le jardin rempli de gra-niums. C'tait ce qu'il m'avait demand dans une entrevuede la rue Gabrielle.Dans cette modeste chambrette, Max installe son bureau

    de travail, une petite table avec un monceau de papiers, -ansimple tagre avec quelques livres, deux chaises et un panier papier, c'est tout le mobilier.La chambre coucher, bien modeste elle aussi, est sous le

    toit.

    Et depuis le lendemain de son arrive, Max est sa table,la plume la main. Il est l depuis 8 heures du matin jusqu'7 heures du soir Il crit sans se lasser sa correspondaced'abord qui est considrable, et ses romans, qui continuent deparatre ( raison d'un chaque anne).Au bovit d'un mois, Max me demande de rester un mois

    encore... Il se trouve si bien ici J'y consens avec plaisir,

    car il met dans notre maison tant de charme notre tablecommune tant d'agrment... notre glise tant d'dification.A la fin du second mois, mme prire, mme succs. Mais

  • 54

    quand le 3 mois va commencer, je suis oblig de reprendrema chambre pour recevoir ma famille. A son grand regret,Max se proccupe d'un autre logis. Il le trouve au monastreo il passe sa journe dans le mme travail acharn, tout envenant prendre ses repas toujoui-s au presbytre.Au bout d'un an, il prfre prendre ses repas d'abord au

    monastre puis l'htel mais il reste notre commensalde tous les dimanches et de tous les jours oii nous avonsquelque convive qui pourrait l'intresser.De temps en temps, Max nous quitte pour l'Italie, pour

    l'Espagne et pour la Bretagne o il passe gnralement sesvacances.

    Aprs une dizaine d'annes, il retourne Paris o l'appel-lent ses intrts il y reste quelques annes et revient enfin Saint-Benot pour un sjour dfinitif. Il loge d'abord l'htel Robert et enfin il loue une chambre chez Mme Persillard,dont il devient le pensionnaire.

    C'est l que le 24 fvrier 1944, par une temprature glaciale,]il est saisi par les Allemands ; il part sans avoir pu nous direjadieu. Le 28 fvi-ier il quitte la prison d'Orlans ; le 5 marsil meurt celle de Drancy.

    Voil ce que je sais de sa vie extrieure.

    Que dirai-je de sa vie intrieure ?Un mot qui rsumera tout sans aucune indiscrtion : Max

    fut pour moi pendant toute cette priode de sa vie le plusdifiant des paroissiens.

    C'est un travailleur acharn 11 ne quittait sa table de ,travail que pour les repas et pour les exercices de pit la '

    basilique.

    Comme je lui faisais remarquer que peut-tre il n'tait pasncessaire d'tre si assidu au travail pour fournir l'diteur

    le volume promis pour l'anne, il me rpondit : Mon volumeest fini au bout d'un mois Je passe les autres mois lerefaire chaque jour je reprends chaque page pour entendrecomment elle sonne, je la travaille... c'est ma tche.

    C'est un homme plein d'amabilit et de charit. Il ne voulaitfaire de peine personne et quand un mot lui a chapp (carparfois il parle trop vite) ou qu'il a laiss sortir un mot

    d'esprit qui aurait pu blesser il en prouve un grandchagrin et n'a de cesse qu'il n'ait fait des excuses et demandQue dire de sa charit envers les dshrits ; il paie le loyer

    d'une pauvresse et lui envoie Paris tous les mois son offrande

    au risque mme d'tre dupe. il prend dans son tiroir un ou plusieurs billets pour les

    -donner tout qumandeur sans 'trop questionner sur ses besoins

    i

  • 55

    il se proccupe des besoins de ceux qui l'entourent et nemanque jamais roccasion de faire plaisir, et d'offrir un sou-venir, une aumne ou un cadeau, l'occasion du jour de l'anou d'un anniversaire

    ;

    il ne refuse aucun service, jusqu' consentir remplacerdans la visite de la Basilique, M. l'Abb mobilis. Pendantini an il assura presque seul cette besogne astreignante, et ill'aurait continue sans l'incident de juin 1940.

    C'tait au dbut de l'occupation. Deux officiers de la Gestapoavaient requis M. le Cur de Germigny pour la visite de songlise et ensuite pour celle de Saint-Benot.A la sortie de la basilique, ils aperoivent M. Jacob qui

    terminait son Chemin de la Croix. Alors m'interpelant, lesAllemands me disent : (c Vous avez un cicrone juif Non,c'est un fervent chrtien... Le meilleur des paroissiens de St-Benoit, ajoute M. le Cur de Germigny. Qu'importe, il estde race juive et il doit disparatre. Qu'avez-vous luiIreprocher ? Qui a t cause de la guerre ? Je l'ignore Ce sont les juifs et les capitalistes, mais ils disparatront. Aous autres prtres, notis sommes les disciples de Jsus-Christ^pii nous a command d'aimer tous les hommes.

    Suffoqus, les officiers partirent.Max venait d'chapper leurs griffes.Mais quelques jours plus tard un des leurs revint au presby-

    tre. Il demanda Mlle X. : a Qui fait visiter l'glise ? L"est M. le Cur. Et quand il est absent ? C'est moi-nme ou n'importe quel autre paroissien. Nous allons bienyoir : "Venez nous guider.Et Mlle X... sans s'eirayer les conduit, leur donne des

    explications avec un aplomb qui les mduse et en se retirantIs la remercient et lui font des compliments.Max Jacob avait chapp une fois encore.

    I II est humble. Il ne parle jamais de ses travaux il ne sevante pas de ses succs et si parfois il prouve un peu delpit naturel devant la critique, l'oubli ou le mpris, il se le'eproche vivement.Un jour de l't de 1921, Max venait de quitter son travail

    )our aller faire une prire l'glise ; la porte de mon bureau3tait reste ouverte. Tout coup je vois un nuage de fumeiortir de sa chambre et envahir mon bureau. Je me prcipitejt j'aperois son panier papier tout en feu, la flamme mon-tait verticale, tout auprs du tapis qui recouvrait sa tablesurcharge de papiers.Rapidement, j'ouvre la fentre, je prcipite dehors le panier

    n combustion et j'attends. Max rentre au bout d'un quartl'heure. Je le reois d'une faon volontairement glaciale et luineutre simplement ce qui reste du panier brl.

    Il m'explique ce qui a d se passer.

  • 56

    (( Les ides ne venant pas, j'ai frott plusieurs allumettespour ma cigarette

    ;j'ai d les jeter dans le panier qui a pris

    teu.

    Et qui aurait pu en un instant incendier le presbytre,si je ne m'en tais aperu temps. Evidemment. Pour pnitence, je vous demande de ne plus fumer dans

    la maison. La pnitence tait cruelle, mais j'estime qu'avec les distrac-

    tions toujours craindre chez un artiste, elle tait ncessaire. Je vous le promets, dit-il humblement, et il tint sa pro-

    messe. Dsormais, quand pour faire venir les ides, Max avaitbesoin d'une cigarette, il sortait dehors et ne rentrait qu'aprsl'avoir use tout entire.

    Il est pieux. Ses exercices de pit sont rguliers et ponc-tuels. Il se lve assez tt pour pouvoir avant la messe faireune longue oraison, la plupart du temps la plume la main.

    Il entre l'glise toujours au moment o sonne la messe,il prpare lui-mme l'autel s'il est ncessaire, il sert la l""messe et souvent la,- seconde, se soumettant toutes les attitudesliturgiques, il s'incline profondment au Confiteor, l'lva-tion, la communion ; au Domine non sum dignus il se frappela poitrine avec un certain retentissement, il a une faoncurieuse mais qui en impose tous, de regarder le prtre l'autel, l'hostie entre ses mains, le texte du missel, et parl tous les fidles difis se font une ide de sa foi et du profitqu'il veut tirer du Saint Sacrifice.

    Il passe l'glise facilement 3 heures chaque jour, et on leretrouve fidlement tous les soirs la prire. Il est avided'entendre le court commentaire de l'Evangile qui s'y faitet il en parle ensuite ceux qu'il rencontre.

    Il demande connatre un peu plus la Trs Sainte Vierge,et quand il a lu quelques ouvrages thologiques sur ce sujet,il se dclare dsormais trs dvot serviteur de Marie.

    Mais sa dvotion principale est le Chemin de la Croix. Il lefait chaque jour et cet exercice il le prolonge loisir, jusqu'le faire dans une heure ou une herue et demie. Il s tientdebout devant chaque station, les yeux baisss, sans se laissertroubler par les innombrables visiteurs, il mdite en silence etparfois devant la station de la mort de Jsus-Christ onl'entend qui se frappe la poitrine et qui rpte cette invoca-tion : Seigneur, je suis le bon larron, ayez piti de moi.

    XXX >I

    Enfin il est aptre. Il souft're de voir tant d'hommes quipassent leur vie dans l'indiffrence ou dans le pch. Il estproccup de leur faire connatre la religion... Il reoit d'in-

  • tn..i,i,

    'U-f-jA A^,

  • -68-nombrables visites, surtout de jeunes gens... Rapidement laconversation, partie de l'art de la peinture ou de la posie,en arrive la religion.On ouvre la Bible, on lit l'Evangile, on fait le Chemin de

    la Croix aprs avoir visit la Basilique. Il est rare que le ivisiteur s'en aille sans tre dcid devenir meilleur, souvent V,mme s'tre confess et s'tre approch de la Table Sainte. i\Quand le visiteur s'est loign, Max le poursuit encore et

    .l{

    presque tous les jours le facteur emporte une mditation ma-nuscrite l'usage de ses nophytes.Max voudrait convertir tous ceux qui l'approchent, et il

    fait des visites dans ce but, et quand aprs avoir fait pendantun an une visite presque quotidienne, il n'a pas abouti, sadception et sa douleur sont grandes mais ses efforts n'auront jpas t inutiles et l'un de ces nophytes (trop rcalcitrant son gr) se convertira avec clat au moment de la mort.Il voudrait surtout convertir les Juifs... et sa dernire lettrenous rvlera que ce int sa dernire proccupation, puisquede la prison il nous crivit :

    J'ai plusieurs conversions en train .

    Telle est rapidement esquisse la physionomie de Max Jacob,telle que j'ai pu l'observer dans ces 23 dernires annes. Jedois la vrit de reconnatre que, mesure qu'il vieillissait,Max faisait des progrs constants et trs sensibles dans la Hpratique des vertus chrtiennes. Il devenait de plus en plus 1dtach des biens terrestres qui il ne s'tait jamais agglutin | l'envers de tant de ses anciens corrligionnaires, mais encore jlde l'estime des hommes et de la renomme littraire laquelleil attachait nagure tant d'importance.

    Enfin, chose remarquable chez un chrtien de date rcente,il en tait arriv penser, juger et parler des choseschrtiennes comme s'il avait t chrtien de vieille souche, et;mme il avait les dlicatesses de la pit dans l'estime justeet la pratique raisonnable des dvotions comme celle du Sacr-Cur, de Notre-Dame ou du Chemin de la Croix.

    Max Jacob avait-il le pressentiment de sa mort prochaine ?Les dclarations de plusieurs de ses amis sembleraient indiquerqu'il avait offert sa vie pour ses coi-rligionnaires ; la dlica--tesse de ses sentiments, la gnrosit de son cur, son dsirardent d'apostolat parat donner cette opinion la plusgrande vraisemblance. Enfin deux documents crits de sa mainnous autorisent l'affirmer. le premier est cette signature dont la photographie est

    reproduite la premire page de cet crit :

    MAX JACOB 1921-1944

  • 59

    Cette signature a t appose par lui ct de celle de sesjamis M, et Mme Ballu, de Montargis, le 20 fvrier 1944.[Elle indique la date de son arrive St-Benot (1921) et elleannonce 4 jours l'avance la date de son dpart que rienne pouvait faire prvoir (1944). le second est cette lettre si mouvante qu'il m'adressa de

    la gare d'Austerlitz au moment de son incarcration Drancy.!

    28 fvrier 1944.Cher Monsieur le Cur,

    Excusez cette lettre de naufrag crite par la complai-sance des gendarmes. Je tiens vous dire que je serai auDrancy tout l'heure.J'AI DES CONVERSIONS EN TBAIN...J'ai confiance en Dieu et dans mes amis. Je le remercie du

    MABTYBE QUI COMMENCE.Respectueusement et amicalement.

    Max JACOB.

    Je n'oublie personne dans mes prires continuelles.

    Lettre admirable qui nous rvle quelle hauteur s'taitleve cette me docile la grce et quelle distance avaitparcourue le mondain de la Butte Montmartre devenu lepnitent de Saint-Benot-sui'-Loire.

    Al. FLEUREAU,Cur de Saint-Benot.

  • 60

    d'apris un pote arabe du VI^ sicle

    O est ton nid ? o ton refuge ?Dans quelle anse du ciel iiais-je chercher ton essence ?Comme la cible, au tir, le point qu'il faut atteindreIl y a le point blanc o est le Seigneur, MatreQue je veux visiter.Armandas de l'espace, allez me le chercherDans le dsert peupl des cieuxDans l'ocan des cieux.Tirez-moi les rideaux ondes en forme de coquilles.

    On me dit que le sige de mon Dieu est en moi...Faut-il donc me dtruire pour le trouver ?Alors, des pioches ! des pelles !La faulx pour sparer ma poitrineC'est l, c'est l.Terrassiers, chirurgiens, venez me mettre en picesEt cherchez ce trsor.Quand vous l'aurez trouv, ne rebtissez rien,Laissez-le bien en vidence.Qu'il vive l o II est et plutt que rienNe vive phis de moi pour ne plus l'touflfer.

    Mineurs, dcouvrez-moi cette noisette blanche.Le Seigneur cach.

    Max JACOB.

    Pome indit offert M. le Cur de St-Beno;

  • Inip. Jeanne-d'Arc

    27, rue Georges-Clemenc

    GIEN (Loiret)

  • mm

    1

    39003 002108008b

    CE PC 2619.A17Z7tcooACC# 1235931

    MAX JACOB LE