c o l l e c t i o n d e s r a p p o r t s o f f i c i e l s · 6 rapport sur la négociation...

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  • C o l l e c t i o n d e s r a p p o r t s o f f i c i e l s

    Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles Mission confie par le preMier Ministre Jean-frdric poisson

    rapporteur : Marc Biehler inspecteur gnral des affaires sociales

    Rapport au Premier ministre Remis le 28 avril 2009

  • 3

  • 4

  • 5Sommaire

    Sommaire

    Lettre de mission ........................................................................ 3

    Synthse du rapport ................................................................... 7

    Introduction gnrale ................................................................ 27

    Premire partielments de constat ............................................................ 31

    I-1 Faut-il dfinir la branche professionnelle ? 33I-2 Lactivit des branches professionnelles en France 39

    I-2.1. Chiffres cls .............................................................................. 41I-2.2. La connaissance des acteurs et, plus encore, celle des jeux dacteurs, sont lacunaires ou difficilement accessibles dun point de vue densemble ............................................................................ 46I-2.3. Une htrognit marque: celle dinstitutions de ngociation collective, avec leurs identits et leurs styles .................................... 48I-2.4. Lanalyse des institutions de ngociation que sont les branches fait ressortir les signes trs sensibles dune grande faiblesse du dispositif densemble .................................................................... 60I-2.5. Quelles sont les difficults structurelles auxquelles se heurtent les ngociations de branche ? ........................................................... 71I-2.6. Lisibilit et visibilit des branches et de leurs rgles sont maintenant parmi les principales difficults dune gouvernance de la ngociation collective ................................................................ 86

    I-3 Sa trs large couverture conventionnelle distingue la France dans les comparaisons internationales 89

    Malgr ses limites, une trs large couverture conventionnelle distingue la France dans les comparaisons internationales .............. 91

    Les enjeux dune couverture conventionnelle: la comparaison internationale du Bureau international du travail ........................................................... 91Les ralits concrtes de la couverture conventionnelle, vues des pays o la mission sest rendue .................................................................... 97

  • 6 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    Deuxime partieLes acteurs de la ngociation collective de branche, une construction franaise ..................... 109Les acteurs de la ngociation collective de branche, une construction franaise ................................................................ 111

    La construction de la scne: une architecture volutive .............................. 112La ngociation de branche et les trois niveaux .......................................... 125La hirarchie imprative relve de la thorie: les rgles de la branche doivent tre des ressources pour les acteurs des entreprises ....................... 141

    Conclusion ......................................................................................... 146

    Troisime partieNouvelles dynamiques, nouvelles capacits, nouvelles branches ................................................................ 149Introduction ........................................................................................ 151Ce que change la loi du 20aot 2008: lavnement annonc dune dmocratie sociale .............................................................. 157

    La reprsentativit syndicale nest plus une donne naturelle , elle doit tre prouve dans les entreprises ............................................... 158La lgitimit de la ngociation ne se dduit pas de la reprsentativit dune des parties: elle appelle de nouvelles capacits et de nouveaux acteurs .. 161Le rythme de lvolution vers de nouvelles capacits de ngociation doit rpondre aux besoins ns des crises actuelles .................................... 169

    Quel rle pour les branches professionnelles daujourdhui et de demain ? ................................................................................... 171

    Nouveaux enjeux de la ngociation collective de branche ........................... 173Nouvelles capacits de ngociation dans les primtres que forment les branches .................................................................... 181Nouveaux territoires, nouvelles dynamiques pour les branches ..................... 184

    Une collectivit professionnelle: ide directrice, pouvoir organis, dynamique collective ......................................................................... 193

    Une ide directrice : cadre de cohrence et de lgitimit ............................. 194Un pouvoir organis : la gouvernance paritaire.......................................... 198Une dynamique collective .................................................................... 200

    Laccompagnement du changement .................................................. 201Agrment de la convention de reconnaissance rciproque et ses consquences .. 202Financement de la ngociation collective dans la branche ........................... 203Procdures pour grer les volutions du paysage conventionnel ................... 204La coordination, lanimation et lappui au changement ................................ 206

    Principales recommandations de la mission ..................... 209

    Conclusion gnrale .................................................................. 211

    Liste des personnes rencontres .......................................... 213

    Annexes ......................................................................................... 231

    Contributions ................................................................................ 271

  • 7Synthse du rapport

    Synthse du rapport

    En France, suivant une tendance largement entame au plan mon-dial, linclination est la polarisation de la ngociation collective vers le niveau interprofessionnel, dune part, et vers lentreprise voire ltablissement local, de lautre.

    Pourtant, lide que les relations professionnelles peuvent relever dun mme modle, unique, nest pas devenue plus oprante que par le pass. Dans un but de rgulation, la pluralit et la diversit des modles de relations professionnelles ne peut pas tre, non plus, celle de chacune des entreprises.

    La ralit, conomique et sociale, est faite de configurations suffi-samment proches pour donner prise des rgulations professionnelles collec-tives dun niveau intermdiaire (les services de propret ne sont pas la banque ou la chimie, qui diffrent de la restauration rapide).

    Si des doutes, voire davantage, peuvent prosprer quant la possi-bilit mme de telles rgulations, cest parce que lefficacit et la pertinence des rgulations de branche, telle quelles fonctionnent maintenant, sont mises en cause. Si lon a lespoir dassurer une forme de dveloppement social durable, de nouvelles dynamiques et de nouvelles capacits appellent la cration de branches nouvelles.

    Une construction au long cours, dont lefficacit et la pertinence sont maintenant mises en cause

    Pour les conomistes, la branche renvoie un march de produits ou de services suppos homogne. Pour les statisticiens, elle peut tre employe concurremment avec la notion de secteur, cest--dire un ensemble dentreprises regroupes selon un critre dactivit dominante, et non partir dun critre dactivit homogne.

    Du point de vue du droit du travail, les branches sont des construc-tions de la ngociation collective. Autrement dit, les branches professionnelles

  • 8 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    ne sont pas des cadres prtablis (donns par le march, tablis par la science ou constitus par ladministration), dans lesquels on ferait entrer des acteurs eux-mmes prexistants. Cadres pour laction, leurs contours rsultent de compromis entre les acteurs que cette ngociation engage.

    Bien sr, une recherche commune court au travers de ces diffrents usages de la mtaphore quest la branche : celle dune activit conomique identifie (1). Aussi la branche conomique, la branche statistique et la branche professionnelle peuvent-elles simbriquer voire, certains gards, se faonner mutuellement. Mais jamais elles ne se recoupent.

    Ce nest pas un handicap, au contraire. Labsence de dfinition a priori donne sa souplesse dusage indispensable la norme de composition des branches professionnelles, autorisant des interprtations diffrencies de la notion dactivit conomique. Ds lors quil sagit de ngociation collective, en raison mme des objets de la reprsentation dintrts collectifs et des modes dexercice de celle-ci, cette notion commune dactivit conomique doit pouvoir se prter, lgitimement et logiquement, des interprtations diverses et volutives. Celles-ci sont prcisment lenjeu premier dune ngociation libre ou autonome.

    Il sagit de ngociation collective, cest--dire dune forme, parmi dautres, de rgulation des relations professionnelles et non seulement, trop glo-balement dit, de rgulation de la concurrence. La difficult et lintrt de ce type de construction renvoient plutt larticulation de lconomie et du droit: cest un sujet dactualit dans les priodes de crises que nous traversons. Or la construction des branches professionnelles manque maintenant de la lisibilit, de la visibilit et de lefficacit permettant aux partenaires sociaux desprer agir sur le cours des choses, les privant de fait de la capacit de rgulation autonome qui peut motiver leur rencontre.

    La dfinition des contours des branches professionnelles nest pas une opration administrative ou scientifique: cest lenjeu premier de toute ngociation ce niveau

    Depuis les premiers pas de la ngociation de branche au sens actuel (2), lvnement fondateur est dabord la dfinition, par elles-mmes, du champ de comptences des organisations patronales engages dans les ngociations sociales.

    (1) Article L. 2222-1du Code du travail: Les conventions et accords collectifs de travail, ci-aprs dsigns conventions et accords dans le prsent livre, dter-minent leur champ dapplication territorial et professionnel. Le champ dapplication professionnel est dfini en termes dactivits conomiques.Pour ce qui concerne les professions agricoles mentionnes aux 1 3,6 et 7 de larticle L.722-20 du Code rural, le champ dapplication des conventions et accords peut, en outre, tenir compte du statut juridique des entreprises concernes ou du rgime de protection sociale daffiliation de leurs salaris. Les conventions et accords dont le champ dapplication est national prcisent si celui-ci comprend les dparte-ments doutre-mer, Saint-Barthlemy, Saint-Martin ou Saint-Pierre-et-Miquelon .(2) Dcret Millerand de 1899 sur les marchs publics, cration de lUnion des indus-tries et mtiers de la mtallurgie (IMM) en 1901.

  • 9Synthse du rapport

    Pour lessentiel, les processus de construction et didentification des branches professionnelles combinent ainsi, selon des modes trs divers: le fait gnrateur du dcoupage ou du regroupement des activits en branches: celui du primtre, en termes dactivits conomiques, des organisations dem-ployeurs participant la ngociation de branche ; dans la plupart des cas, une apprciation du critre dactivit conomique sous langle dun produit ou dun service, plutt que sous celui dune filire, bien que plusieurs regroupements de branches aillent dans ce sens ; au-del de ce quautorise le code du travail, cest--dire au-del de lagricul-ture, un croisement assez contingent de lactivit, au sens de produit ou service, avec le statut de lemployeur (artisanat, professions librales) ou le mode dex-ploitation des entreprises (conomie sociale) ; des concidences et recoupements de droit entre le primtre dune branche et celui des accords collectifs quelle produit (conventions collectives, accords col-lectifs thmatiques) gomtries variables, organises par la voie contractuelle, celle de la volont des parties, sauf cas tout fait exceptionnel dlargissement par voie de dcision administrative unilatrale.

    On ne peut perdre de vue que la dlimitation de la rgle ngocie est un lment fondateur de celle-ci. Lextension par voie administrative de la porte des accords collectifs produits par la ngociation de branche consolide et arrte les choix des parties la ngociation, leur confrant une nature rglementaire opposable aux non-signataires compris dans le champ, territorial et dactivit, quelles ont dfinies.

    Si elles ne dcoulent pas dune dfinition a priori (les codes NAF ne sont pas constitutifs dintrts collectifs), les identits de branche ne rsultent pas non plus de dterminismes, conomiques ou autres. Fruit de compromis, leur part de contingence est invitablement forte.

    Dans tous les cas, la recherche dune position permettant aux acteurs, notamment lacteur patronal, dtre interlocuteurs lgitimes des pou-voirs publics donne un sens aux agencements retenus. On le voit notamment lorsque les pouvoirs publics exercent une forme de tutelle sur les activits concernes (exemple des transports).

    La construction que sont les branches professionnelles est en difficult: la capacit dagir de leurs acteurs nest pas la hauteur des enjeux

    Une premire difficult se prsente qui veut connatre et analyser la ngociation collective de branche. La connaissance des acteurs et, plus encore, celle des jeux dacteurs, sont lacunaires ou difficilement accessibles dun point de vue densemble. Malgr les efforts remarquables de la Direction gnrale du travail, notamment au travers du bilan annuel de la ngociation collective exa-min en Commission nationale de la ngociation collective, linformation que recouvre lvocation rcurrente des 687 branches (1), est demeure de nature

    (1) Voir chiffres cls en dbut de la deuxime partie de ce rapport.

  • 10 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    administrative, avec son empirisme et ses cloisonnements, dun partage trs dif-ficile. Pourtant, le BIT considre, non sans raison, quil devrait sagir dun bien public , de nature permettre une ngociation mieux informe des ralits conomiques et plus quilibre .

    De ce fait, le travail ralis dans le cadre de la mission confie au dput Jean-Frdric Poisson est une premire.

    La segmentation, parfois ltanchit, des administrations inter-venant dans les rgulations professionnelles, dans des rles comparables, a dailleurs des incidences directes sur les institutions de la ngociation collective de branche elles-mmes. Lexemple le plus net est dans les diffrences entre la ngociation collective dans les branches dont les salaris relvent du rgime agricole de scurit sociale (256 conventions collectives, moins dun million de salaris couverts) et celles dont les salaris relvent du rgime gnral (687 conventions collectives, 14millions de salaris couverts). De ce point de vue, il nest pas incohrent que la grille danalyse des conventions collectives et accords collectifs de branche labore par la DARES ( conventions regroupes pour linformation statistique - CRIS) fasse de la tutelle administrative le premier des quatre critres hirarchiss de tri des informations (1).

    La mission a cependant trait, parmi dautres, les trois questions suivantes, avec lappui de la Direction gnrale du travail pour ce qui concerne la premire.

    Comment fonctionnent aujourdhui les ngociations de branche ?

    657 conventions collectives tudis par la Direction gnrale du travail, la demande de la mission, peut tre considre comme productive, lautre moiti doit tre considre comme moribonde voire teinte.

    Le dynamisme est apprci, de faon trs large, par le taux dont le numrateur est le nombre dannes avec signature dau moins un accord et le dnominateur le nombre dannes qui ont suivi la conclusion dune convention collective fondatrice (100% correspondant donc un accord par an).

    Les catgories retenues (dynamisme, rgularit) sont les suivantes :1) Trs dynamique : 70 % dactivit ou dans sur la priode2) Productif : 30 70 % dactivit dans la priode3) Moribond : 10 30 % dactivit dans la priode4) Prsum teint : activit trs faible voire inexistante (< = 10%)

    Catgories (dynamisme) Champs conventions collectives

    % conventions collectives

    1 87 132 243 373 83 134 244 37

    Total 657 100

    Source: Direction gnrale du travail.

    (1) La tutelle, la proximit de ngociation, la filire, la proximit des activits.

  • 11Synthse du rapport

    Selon ce calcul, parmi les 87 champs conventionnels trs dyna-miques, on compte deux tiers (66%), soit 58 champs conventionnels, qui sont trs dynamiques et pratiquent un dialogue social soutenu au-del des accords portant sur les salaires (sur 657). Un tiers, soit une trentaine de champs, est trs dynamique mais nassure pas dans les autres domaines le dynamisme quils montrent dans la ngociation de salaires minima.

    On peut relever des diffrences de dynamisme selon la taille des champs des 657 conventions collectives, mesure par les effectifs couverts lorsquils sont connus, cest--dire partir de 2 000 salaris (43 % des cas seulement): les champs de tailles moyennes et grandes (au-del de 35 000 salaris) se situent pour lessentiel entre productif et trs dynamique ; les champs de tailles petites et moyennes (2 000 35 000 salaris) connaissent en gnral une ngociation productive ; les champs dont leffectif nest pas connu, gnralement, parce quil est infrieur 2 000, comptent lessentiel des champs prsums teints , et moribonds ; on relve quelques exceptions, dans les champs sans effectif connu, carac-trises par un trs fort dynamisme ; il sagit de champs conventionnels plutt rcents (aprs1982): ports de plaisance, centres de gestion agrs, lin rouissage-teillage, enseignement priv distance, BTP de la Guadeloupe, sport, vtri-naires, mtallurgie de lOise (2008).

    Cependant, sil est heureux que les champs de la ngociation de branche couvrant les effectifs les plus importants soient dans lensemble plutt productifs , il apparat quil ny a pas de lien vident entre taille et dynamisme. Couvrant respectivement 85 000et 45 000 salaris, les champs conventionnels de la publicit et des grands magasins populaires sont considrer comme mori-bonds. Par contre, nombreux sont, parmi les 71 champs conventionnels de la branche de la mtallurgie (13% des 657 conventions collectives tudies), ceux qui sont trs dynamiques ou productifs alors quils couvrent, chacun, moins de 35 000 salaris.

    -ture recle en fait de trs graves lacunes, au-del de la ngociation des normes salariales.

    Grce lextension administrative, la France maintient certes un des taux de couverture par la ngociation de branche les plus levs du monde, avec 90% des salaris des secteurs non agricoles, malgr un taux de syndicalisation exceptionnellement faible.

    Mais les 330 champs conventionnels considrs comme productifs ou trs dynamiques, dont 21% relvent de la seule branche de la mtallurgie, produisent essentiellement des accords salariaux. Dans le strict domaine salarial, une ngociation collective vivante permet ainsi de couvrir par des accords col-lectifs jusqu 49% de lensemble des champs conventionnels des secteurs non agricoles. Mais une ngociation collective vivante ne couvre que 42% du mme ensemble avec des accords collectifs traitant de tous les autres thmes possibles de ngociation.

    De plus, il sagit, en grande majorit, des classifications et des dis-positifs ou financements de la formation professionnelle. Les autres sujets sont

  • 12 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    trs peu abords et donnent lieu trs peu daccords. Les obligations lgales de ngocier au niveau des branches sont massivement lettre morte, sauf excep-tions notables, dans des domaines aussi sensibles que lgalit entre femmes et hommes, lemploi des handicaps, les conditions de travail et la gestion prvi-sionnelle des emplois et des comptences. Il sagit pourtant de domaines dans lesquels la ngociation de branche pourrait apporter de vraies ressources dont la majorit des entreprises, de tailles modestes, ne peut disposer sans cela.

    Encore cette relativement bonne tenue de la ngociation des normes salariales, cur et moteur symbolique de la ngociation de branche, doit-elle beaucoup limpulsion et laccompagnement des pouvoirs publics. Depuis mars2005, la ngociation des salaires minima fait lobjet, en effet, dun suivi attentif des pouvoirs publics et des partenaires sociaux, maintenant runis, la demande de ces derniers, au sein du comit de suivi de la ngociation salariale de branche , mis en place dans le cadre de la Commission nationale de la ngo-ciation collective et prennis par un dcret publi en juillet2007.

    Malgr laffichage dun taux de couverture maximal, le systme prsente en fait des lacunes au moins aussi proccupantes, pour lutilit et lave-nir de la ngociation collective, que les manques physiques dans la couver-ture. Elles minent sa lgitimit. Il y a trop de conventions dsutes, peu ou pas rengocies, pouvant laisser place des rituels creux. Il y a trop de blocages des ngociations qui comptent.

    Or la ngociation dentreprisene peut pas compenser ces faiblesses. En effet, la quasi-totalit des accords sont conclus dans des entreprises dau moins cinquante salaris, ce qui exclut la majorit des salaris de leur bn-fice. La ngociation de branchepeut, elle, sadresser tous. Elle peut surtout offrir le recul ncessaire la recherche de repres communs permettant dassu-rer les quilibres de moyen et long termes, dans une aire dfinie par un mme modle de relations professionnelles.

    Quelles sont les difficults structurelles auxquelles se heurtent les ngociations de branche ?

    Un point mrite tout dabord attention: le caractre quasiment uni-versel, parmi les acteurs, de deux assimilations - ou confusions - totalement dissymtriques.

    Ces deux assimilations sont caractristiques, en cela, dune insti-tutionnalisation pour le moins prcaire de la ngociation de branche, indpen-damment de la solidit des appareils et statuts supposs tre, par ailleurs, des instruments de la ngociation de branche.

    Il sagit de laffirmation par les uns, le patronat, que la branche nest rien dautre que la fdration patronale, et de laffirmation par dautres, les syn-dicats et ladministration, que la branche nest autre que la convention collective.

    La branche nest jamais spontanment prsente comme la ren-contre dacteurs collectifs constitus en vue de la ngociation de branche. Or, sauf habitudes de pense hrites des administrations de la sphre publique, un tour de table peut tout fait former une institution sans quil soit ncessaire de lassimiler soit un appareil, soit un statut.

  • 13Synthse du rapport

    Dans le cas prsent, lorsque la branche est assimile un appareil, cest soit celui de lune des parties la ngociation soit un organisme pari-taire de type organismes paritaires collecteurs agrs (OPCA), dont les liens avec la ngociation collective sont pour le moins peu clairs.

    Lorsquelle est assimile un statut, cest sous langle des droits et obligations, donc des valeurs qui en dcoulent, ce qui est somme toute plus proche de linstitution, sauf quil sagit plutt dun instrument que lon assimile linstitution.

    Lorsquil est question dorganisation, ce nest jamais dune organi-sation des pouvoirs des parties en prsence pour concrtiser des compromis, lun des trois lments constitutifs dune institution de ngociation, conjointement avec lide dun projet raliser et avec la dynamique propre de cette ralisation.

    Cette faible institutionnalisation et ce poids des appareils (ces ins-titutions choses selon lexpression du doyen Maurice Hauriou) et instruments sont le cur des difficults de la ngociation de branche, alors quelle est en concurrence avec dautres lieux ou points dappui de la ngociation collective et du dialogue social, au plan national comme dans des aires plus vastes, euro-pennes et internationales.

    Les appareils, non plus que les statuts, ne peuvent eux seuls donner vie la ngociation et faire que celle-ci soit la force dadaptation que lon attend dans un monde de plus en plus confront lincertitude et aux mobilits. Sans lan vital qui lui soit propre, la branche est une proie dans les conflits dappareil (voir notamment les OPCA).

    Or, depuis lintroduction, en 1982, de la possibilit de droger au droit commun (lgal et rglementaire) au niveau des entreprises, lvolution du droit des salaris la ngociation collective de leurs conditions de travail et la participation la gestion des entreprises (1) est alle plus vite que la construction dun nouveau droit de la ngociation collective. Ce dcalage met en cause le rle de la branche tel quil stait jusqualors construit et, surtout, tel que les appareils lassurent. En effet, avec la loi de juillet1950, la loi de la profession avait jusqualors pour point dappui exclusif les branches, trs largement insti-tues en organisant ce type de rgulation, au point que le droit de la ngociation collective tait le droit des conventions collectives .

    Longtemps point dappui exclusif puis pivot du systme franais des relations professionnelles, la ngociation collective de branche est maintenant un point dappui parmi dautres. Dans la pratique, cet ordre collectif est maintenant caractris par labsence de spcialisation ou de priorit assures des champs de responsabilit, entre lgislation et ngociation collective, comme entre niveaux de la ngociation collective. Lintroduction dune rgle de suppltivit de lac-cord de branche vis--vis de laccord dentreprise en matire de temps de travail, par la loi du 20aot 2008, relative la modernisation de la dmocratie sociale et au temps de travail, est une tentative pour mettre un certain ordre dans ce quil est devenu difficile de reconnatre comme lordre public social .

    (1) Alinas6 et8 du Prambule de la Constitution.

  • 14 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    Lisibilit et visibilit des branches et de leurs rgles sont maintenant parmi les principales difficults dune gouvernance de la ngociation collective. Le paysage devient illisible.La complexit et le manque de lisibilit ne rendent pas seulement plus difficile llaboration et la mise en uvre de la rgle de droit, la fois au niveau des branches et celui des entreprises, ils nuisent surtout la lgitimit de leurs acteurs et rgles, aux deux niveaux. Or le Conseil constitu-tionnel a fortement relev que lide mme de drogation impliquait une lgiti-mit spciale des ngociateurs lgard de la collectivit concerne.

    Lgitimit nest pas seulement reconnaissance de reprsentativit, surtout si celle-ci ne concerne que lune des parties. Elle repose, on le voit lexemple des fragilits lies la complexit, sur les procdures dlaboration de la rgle et sur lorganisation concrte des pouvoirs qui vont lui donner vie. Autrement dit, les relations dautonomie entre deux niveaux (branche et entre-prise), dans llaboration des rgles, crent une exigence de lgitimit nouvelle, qui ne rsulte pas de la seule reprsentativit syndicale, il sen faut de beaucoup. La loi du 20aot 2008 appelle des prolongements. Le verrouillage gnra-lis (1), par les branches, des possibilits de drogations aux rgles quelles produisent, la suite de la loi du 4mai 2004, justifie que lon rexamine les conditions de cette articulation.

    Une articulation positive entre rgles de branches et entreprises, par lorganisation dune subsidiarit, est construire. Les rgles de branches sont concevoir et administrer comme des ressources pour les acteurs des entre-prises plutt que comme des contraintes. Laccessibilit et linterprtation des rgles quils produisent devraient tre lun des lments essentiels dune admi-nistration, par leurs auteurs eux-mmes, des normes ngocies aux niveaux des branches. Cela suppose des moyens que peu dacteurs actuels de la ngociation de branche peuvent dployer.

    Considrer les rgles produites comme une ressource mise dispo-sition des acteurs des entreprises par la branche en tant quinstitution de ngo-ciation collective, et non par chacun de ses acteurs agissant sparment, devrait avoir pour corollaire une information et une interprtation des rgles assures de faon partage au niveau de la branche, laide de moyens communs ddis.

    Plus les champs conventionnels sont fragments, plus dvelopp lempilement thoriquement impratif des normes, plus difficiles sont laccs et la comprhension du droit, donc son effectivit. Si cette complexit se combine avec lclatement des voies daccs et dinterprtation, le manque de visibilit de la ngociation de branche atteint des niveaux qui la fragilisent radicalement.

    Quels sont les mcanismes aboutissant maintenir voire augmenter le morcellement des branches ?

    En France, se doter de sa convention collective de branche est demeur, depuis lorigine des branches professionnelles au sens actuel, le prin-cipal moyen dexister en tant que groupe de reprsentation dintrts cono-miques sectoriels (exemple historique: industries et mtiers de la mtallurgie)

    (1) Plusieurs auteurs, notamment Gilles Blier, parlent de glaciation .

  • 15Synthse du rapport

    ou statutaires (exploitations agricoles, artisanat, professions librales, conomie sociale). En poussant la logique lextrme, plus le primtre est rduit, plus ncessaire peut savrer la convention collective.

    Pour faire bref, labsence de reconnaissance des groupements de dfense dintrts conomiques sectoriels en tant que tels joue un grand rle dans la fragmentation du paysage conventionnel, sauf regroupement spcialis dans la ngociation sociale lUnion des industries et mtiers de la mtallurgie (UIMM). Pour bnficier de cette reconnaissance et des ressources importantes qui laccompagnent en France, les groupes dintrts ont jusqualors pour voies principales celles de leur participation la ngociation des conditions du travail et aux politiques sociales.

    Cest spcialement vident dans les priodes et dans les secteurs dactivit marqus par linterdpendance avec les pouvoirs publics (contrle des prix par le pass, professions rglementes de nos jours). Les priodes de protec-tionnisme il y a un sicle, celles du contrle des prix ensuite, ont t les moments fastes de lorganisation patronale pour la ngociation sociale.

    Lide et les pratiques institutionnelles laissant esprer que les mar-chs de produits ou services, dune part, le march du travail, dautre part, peu-vent tre effectivement rguls et articuls pas la seule fixation des tarifs que seraient les salaires minima, renforce par ailleurs les risques de fragmentation des champs conventionnels. Sauf sen tenir au niveau de ltablissement local, lui-mme de plus en plus appel diffrentes formes de mobilits, la recherche devenue vaine dune concidence entre march de produits ou services et march du travail pousse circonscrire de plus en plus troitement, sans espoir de suc-cs, le champ de ce mode thorique de rgulation.

    Les branches au champ le plus large et le plus dynamique sont des branches dans lesquelles la fixation des normes salariales est la plus dcen-tralise (mtallurgie, btiment, production agricole). Au contraire, celles dans lesquelles les normes salariales sont les plus centralises connaissent blocages gnraliss et durables des ngociations dans leur ensemble et menaces dex-plosion (transports routiers de marchandise et activits auxiliaires). Lide, trs thorique, que la ngociation de branche nest justifie que par une galisa-tion des conditions de concurrence par les seuls minima salariaux est devenue totalement contreproductive. Non seulement les minima salariaux nont pas du tout la mme fonction dans les grandes et petites entreprises. Mais surtout, cest le caractre multidimensionnel des objets de ngociation qui permet lefficacit de celle-ci.

    Face aux processus de fragmentations et aux chevauchements, les procdures administratives sont faibles, sauf lorsquelles aboutissent conforter lautonomie des parties la ngociation.

    En ltat actuel du droit de la ngociation collective et du systme de reprsentativit des intrts en prsence, les procdures prparant une dcision administrative unilatrale (extension, largissement) sont de faibles instruments face aux risques de fragmentations, encore plus face aux risques de chevauche-ments entre champs conventionnels. Ceux-ci sont nombreux et mal connus.

    Lnergie que ladministration du travail doit dployer pour essayer de compenser ces risques est excessive au regard des rsultats. Le plus souvent,

  • 16 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    cest par le dialogue suscit par de telles procdures, notamment au sein de la Commission nationale de la ngociation collective, que des voies de compromis peuvent tre trouves. Elles le sont par les acteurs eux-mmes ou avec laide dun tiers, dans le cadre dune commission mixte paritaire.

    Les commissions mixtes paritaires prsides par un tiers nomm par le ministre du Travail, parce quelles confortent, paradoxalement, lautonomie des acteurs, semblent jouer un rle plutt favorable des regroupements dyna-miques et viables(cas rcent du spectacle vivant). Pour aller vite, les commis-sions mixtes paritaires contribuent, pour une large part, rduire les tensions au sein de la partie patronale. Par l, elles offrent un levier pour prvenir les risques de fragmentation. Elles peuvent mme, comme on le voit au cas des spectacles, faciliter les rapprochements entre organisations demployeurs et, par l, des regroupements de champs de la ngociation de branche.

    Or les volutions entames depuis longtemps dans la vie des entre-prises sont de nature acclrer maintenant deux transformations 1) la plura-lit consubstantielle du patronat et le mouvement permanent qui traverse ses organisations reprsentatives, 2) le moindre intrt dun rle de relais avec les pouvoirs publics (dans les deux sens), dans un nombre croissant de cas. Ceci pour deux raisons: dune part, le dveloppement dentreprises de toutes tailles et de groupes aux frontires et aux activits mouvantes, en rseaux, ainsi que celui des activits transversales aux dcoupages sectoriels, mettent mal la pertinence des compro-mis politiques qui ont institu ceux-ci. Au 1erjanvier 2004, il existait en France 31 000 groupes, hors secteurs financier et agricole. Les socits contrles par un groupe employaient 56% des salaris de lensemble des entreprises non agri-coles, hors intrim, soit 7 851 000 salaris. Les grands groupes comme Veolia ou Saint Gobain peuvent entrer dans les champs dapplication de douze quinze conventions collectives diffrentes ; dautre part, les politiques publiques de rgulation sont de moins en moins gnralement et durablement sectorielles au niveau national : tre relais entre ltat et les entreprises sur un plan sectoriel, dans les deux sens, na plus la mme porte quauparavant. Si les crises conomiques peuvent donner un spec-taculaire coup de fouet des relations de coordination voire de coopration entre les pouvoirs publics et des organisations professionnelles ou groupements de dfense dintrts sectoriels (1), la tendance de long terme nest pas favorable leur institutionnalisation durable au plan national, en tout cas dans les domaines de politiques industrielles. La lgitimit et les ressources des organisations patronales doivent tre apprhendes de nouvelle manire, plus favorable des regroupements et, sous certaines conditions, lexercice plus autonome de res-ponsabilits plus claires.

    (1) Voir la charte nationale de coopration pour le soutien et laccompagnement des entreprises du secteur de lautomobile et de leurs salaris , conclue le 3juillet 2008 entre ltat, lUnion des industries et mtiers de la mtallurgie (UIMM), le Conseil national des professions de lautomobile (CNPA), une majorit dorganisa-tions syndicales de salaris reprsentatives, ainsi que par la Fdration des quipe-mentiers (FIEV), associant le Groupement des fdrations industrielles (GFI) et les entreprises de lintrim (PRISME).

  • 17Synthse du rapport

    nouvelles dynamiques, nouvelles capacits: vers des branches nouvelles

    Au total, le paysage de la ngociation de branche prsente un tat de grande faiblesse: visibilit, lisibilit, effectivit, efficacit en perte de vitesse ou gravement menaces. Il en dcoule une capacit dingalit croissante : ngocier des normes adaptes la diversit des situations concrtes ; administrer les normes, y compris celles qui concernent les salaires et classi-fications ; aider aux anticipations: pnibilit, sant au travail, valorisation et qualifica-tion des comptences, galit entre femmes et hommes, gestion dynamique des ges au travail ; promouvoir lquit: emploi des handicaps, respect de la diversit ; aider grer les restructurations: en Lorraine, la mission a relev de srieuses carences dans la chimie.

    Cela tant, la nouvelle donne juridique, amorce en 1982, institue par les lois de 2004, 2007 et 2008, organise des dplacements : la permanence apparente des trois niveaux de la ngociation collective recouvre de profonds changements dans la manire de les activer. Il sagit de nouvelles dynamiques, avec ce quelles recouvrent comme puisements danciennes manires de faire et de voir. Il faut maintenant grer les deux: dplacements (nouveaut) et pui-sements (caducit).

    La rgulation de branche est en principe plus riche, plus complte et plus oprationnelle que la rgulation interprofessionnelle. Cest ce niveau que peuvent se rgler nombre de conditions concrtes dexercice de la concurrence conomique et de la prvoyance sociale. Il sagit danticiper pour pouvoir agir sur le cours des choses, plutt que seulement esprer grer des statuts. La nou-velle donne juridique, notamment depuis la loi du 20aot 2008, invite changer de modle en consquence.

    Seules des branches nouvelles, institutions autonomes de la ngo-ciation collective, permettront le sursaut ncessaire. Cette autonomie est dint-rt croissant avec le caractre mouvant des entreprises et de leurs activits, avec le dveloppement des incertitudes, qui ncessitent une capacit de rgulation dun autre niveau que celui de lentreprise, pour anticiper, pour adapter, pour grer les risques et, mieux encore, saisir les opportunits de dveloppement. Le jeu des acteurs peut consister pour une large part changer les termes dun problme dans lequel ils sont bloqus.

    Les nouvelles voies dune rgulation de branche

    Nouveaux projets de rgulation pour rpondre aux besoins rels des acteurs des entreprises, complexit accrue des ngociations: les nouvelles voies de la ngociation collective de branche appellent un changement de modle. La nouvelle donne juridique issue de la loi du 20aot 2008 invite ce changement.

  • 18 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    a) Tout dabord, les mutations socio-conomiques auxquelles sont confronts les acteurs des entreprises doivent devenir le cur de mtier de la ngociation de branche.

    Le modle historique des branches, celui de la concidence entre un march de produits ou services circonscrit, un march du travail bien identifi et la convention collective-statut comme instrument de leurs rgulations est devenu depuis longtemps plus que thorique. Cest pourquoi la recherche dune nou-velle articulation, par la ngociation collective de branche, entre lconomique et le social apparat bien comme la proccupation la mieux partage des acteurs. Mais cest aussi leur difficult la plus marque.

    De fait, cette proccupation et cette difficult des acteurs motivent en grande partie leur propension gnrale verrouiller la drogation de droit prvue, par la loi du 4mai 2004, au niveau de la ngociation dentreprise. La drogation au droit commun de la branche demeure en effet perue comme un risque de concurrence entre la branche et lentreprise, de nature mettre en cause le projet collectif fondateur de celle-ci, avec le dumping social comme enjeu le plus gnralement mis en avant.

    Comment trouver les voies dun nouveau projet de rgulation ? Alors que limpact concret des mutations socio-conomiques est gnralement difficile prvoir ou anticiper au niveau des entreprises, sauf lorsquil est trop tard, la ngociation de branche peut et doit apporter des ressources apprciables.

    Bien sr, lanticipation, linterface entre prospective et action, tout cela fait appel des expertises qui demeurent encore loin de la porte de la grande majorit des branches actuelles.

    Mais, bien regarder, la difficult na-t-elle pas une origine plus interne lorganisation de la rgulation de branche elle-mme, telle quelle rsulte de la conception dune loi de la profession de type exclusivement rglemen-taire, peu relie la soft law quappellent lanticipation et laccompagnement des mutations socio-conomiques, trop souvent dans lurgence des crises ?

    Pour reprendre les propos du professeur Jean-Claude Javillier : Cest la rgulation quil convient de dynamiser par des mthodes adaptes, pour partie toujours juridiques. Car une simple rglementation, dans des soci-ts complexes et avec une conomie mondialise, ne saurait apporter de rponse pertinente et suffisante. Il faut dvelopper des instruments pour une rgula-tion (1). Cette ide que la dynamisation de la rgulation fasse appel, pour partie, des mthodes juridiques, nous parait une voie explorer davantage au niveau de branches nouvelles. Cela suppose que lon noppose plus droit dur pour rglementer a priori, en toutes circonstances, et droit progressif ou ra-lisation progressive (selon la traduction que donne Jean-Claude Javillier de la notion anglaise de soft law), pour la rsolution de problmes. Avec les muta-tions socio-conomiques dans lesquelles nous sommes engags, cen est fini des mondes normatifs clos et spars, rglementation contre rgulation, hard law contre soft law , pour reprendre l encore lexpression du professeur Jean-Claude Javillier.

    (1) Propos recueillis par la mission.

  • 19Synthse du rapport

    Or, quel autre niveau que celui de branches nouvelles est-on le mieux plac pour assurer cette articulation et sortir de cette opposition entre loidure et droit progressif ? Telle parat tre la voie dun nouveau projet fondateur, la fois conomique et social, pour les branches nouvelles. dfaut, elles risquent fort dtre trs vite relgues certaines formes dadministration de normes sociales sans prise sur les mutations socio-conomiques. Cette pers-pective du repli sur des fonctions sociales externalises au niveau des branches, pour mieux librer la gestion des entreprises, nest pas la mieux adapte aux besoins rels, en tout cas ceux des diffrents acteurs de la grande masse des petites en moyennes entreprises.

    Parmi tant de sujets, les relations avec les ples de comptitivit (prts de main-duvre, mises disposition), les mthodes de ngociation et de dialogue social dentreprise pour la prvention et la gestion des situations de crise, la gestion prvisionnelle des emplois et des comptences , sont autant de domaines dans lesquels la norme de branche doit tre une ressource pour les acteurs des entreprises. Si les articles L.2242-15 L.2242-20 du Code du travail crent une obligation de ngocier par priode de trois ans sur la gestion prvi-sionnelle des comptences et des emplois dans les entreprises de 300 salaris et plus, il est ncessaire que les branches apportent un cadre de cohrence, de capa-cit et de lgitimit, on ne peut plus utile pour la rgulation froid quappelle une telle approche de la gestion de lemploi, notamment auprs des plus petites entreprises, dans les territoires.

    b) Les ngociations de branche doivent trouver leurs voies dans un processus de dcentralisation vers lentrepriseet non dempilement: la ngocia-tion change de nature, elle devient plus complexe et plus contractuelle, en tout cas moins exclusivement normative.

    Les ngociations de branche doivent prendre en compte, plus quavant, lhtrognit des entreprises. Quelles ressources le dialogue social de branche doit-il offrir aux acteurs du dialogue social dentreprise, de nature conforter leur propre lgitimit et leur capacit ngocier, leur niveau, des normes du travail et des relations au travail, alors quils sont de plus en plus diversement confronts aux mutations conomiques et territoriales, ainsi qu la dsyndicalisation ?

    Elles doivent prendre en compte lhtrognit des territoires. Si les entreprises sont de plus en plus mouvantes, les salaris sont de plus en plus mobiles, avec des segmentations du march que les institutions ne doivent pas durcir, en premier lieu au plan local: lenjeu est ardu pour les branches, car il peut mettre en cause des identits professionnelles qui, souvent, leur donnent leur lgitimit.

    Avec lexcessive fragmentation actuelle des branches, le besoin en information et en comptences des ngociateurs, comme les besoins en exper-tise, dpassent de plus en plus souvent des champs de vision trop limits et les capacits de mobilisation des ressources par les parties aux ngociations. Leurs comptences sont de plus en plus souvent faibles face la complexit des enjeux du dialogue. Cest spcialement marqu dans les domaines ardus de lemploya-bilit sous ses formes diverses, objet de ngociations de porte conomique et, par l, sociale.

  • 20 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    Les interactions croissantes entre objets de ngociation, comme entre ceux-ci et les multiples paramtres de marchs du travail plus ouverts ou plus comptitifs, rendent les domaines de la ngociation collective de branche plus difficiles circonscrire. Leurs articulations sont plus difficiles organiser dans le cadre de stratgies de ngociation. La ngociation en devient beaucoup plus complexe mener, de part et dautre.

    Ceci peut et doit renforcer la nature contractuelle de la ngociation collective de branche et des normes quelle produit. En effet, les ngociateurs ne peuvent esprer matriser cette complexit quen ngociant dabord un com-promis destin faire la loi des parties dans les processus et dans lorganisation de la ngociation eux-mmes, puis dans ladministration des normes quils pro-duisent. Laccord relatif aux rgles, mthodes et moyens de la ngociation est dcisif pour leur permettre dassurer une vritable ingnierie de celle-ci. Cette dernire doit dailleurs faire lobjet dune formalisation, acqurant le statut de rgle contractuelle. Il devient essentiel quelle soit une rfrence commune, dordre contractuel, entre les parties la ngociation.

    Dans tous les cas, la capacit dadaptation et dinnovation (thmes, partage des rles branches/entreprises, mthodes de travail) est devenue la cl des dynamiques attendues par les acteurs des entreprises. La nouvelle donne juridique fait de cette exigence une condition de lgitimit.

    c) La nouvelle donne quorganise la loi du 20aot 2008 prcise les enjeux institutionnelsau niveau des branches: la loi des parties doit tre au fon-dement dune loi de la profession plus autonome.

    La nouvelle donne juridique issue de la loi du 20aot 2008 invite maintenant, face ces volutions, changer de modle.

    Avec la loi du 20aot 2008, la branche est maintenant au croisement denjeux institutionnels nouveaux, par sa position charnire entre audience lec-torale des syndicats dans les entreprises et reprsentativit syndicale au niveau interprofessionnel Il est encore trop tt pour aller vraiment, sans conjecture ris-que, au-del dune conclusion aussi gnrale. En tout cas, la loi du 20aot 2008 renouvelle le positionnement de la branche et peut en conforter limportance, parmi les institutions de la ngociation collective, en fonction de ses relations avec les acteurs des entreprises.

    Cette conclusion trs gnrale est cependant dune grande porte: elle nous fait passer du registre de la reconnaissance de reprsentativit syndicale vers celui de la lgitimit de la ngociation. Elle invite aller au-del des pro-cdures de comptage des voix et de consolidation de leurs rsultats pour tablir laudience syndicale. Elle invite traiter les questions de long terme, relatives au droit processuel dtablissement et dadministration des normes ngocies dans la collectivit professionnelle que doivent former de nouvelles branches.

    Ce droit processuel implique chacune des parties aux ngociations, des niveaux, branche et entreprise, plus ou moins interdpendants entre eux. Cela concerne au moins autant la partie patronale que la partie syndicale. La loyaut et le srieux de la ngociation, par exemple, se vrifient bien chaque niveau, mais ils mettent gnralement en cause, par l mme, les relations entre acteurs de diffrents niveaux. Ils relvent dun autre registre que celui de la reconnaissance de la reprsentativit syndicale.

  • 21Synthse du rapport

    De ce point de vue, lexclusivit des thmes de branche peut tre, en ralit, chronophage. En effet, cette approche par lexclusivit apparat comme la condition de survie de la branche et des appareils de branche, alors quune approche par la valeur ajoute en termes defficacit, traite dans un cadre de gouvernance de la branche, permettrait dorganiser la subsidiarit dans la nou-velle collectivit que formeraient de nouvelles branches et de concentrer la ngociation de branche sur les thmes, objets, objectifs dont le traitement par la branche est la meilleure faon de les traiter, voire la seule.

    On le voit, la notion dquilibre entre parties la ngociation fait maintenant appel des rgles dont la ngociation est premire, car elles doivent apporter aux uns et aux autres de nouvelles capacits ngocier avec une volont daboutir dautant mieux assure quelle fera appel de faon prvisible, car pro-gramme dun commun accord, des informations, des instruments, des exper-tises et des calendriers. Il sagit des points dappui et dune forme donner la bonne foi dans la ngociation comme la loyaut dans lexcution des accords.

    Autrement dit, le cadre de cohrence et de mthode des ngociations dfini dun commun accord est devenu le complment indispensable de la seule reprsentativit des parties. Il devient en effet le cadre indispensable la lgiti-mit et la solidit contractuelle de leurs ngociations et de leurs accords, car il assure de meilleure manire leur bonne foi (volont daboutir en se donnant les moyens dy parvenir).

    Ds lors que les ngociateurs de la branche ont par la loi pouvoir dorganiser le rgime des drogations, par les acteurs des entreprises, aux normes quils fixent, cette exigence de lgitimit se combine avec celle dune gestion matrisable de la complexit pour justifier pleinement le caractre substantiel de leurs accords de mthode.

    Les difficults de la gouvernance de la ngociation dans le primtre de la branche sont devenues, avec celles des articulations entre niveau de la branche et celui des entreprises, le premier frein lautonomie responsable des ngociateurs, chacun des deux niveaux.

    Elles peuvent devenir fatales la ngociation collective, on la vu, par glaciation au niveau de la branche, et par dispersion, voire clatement, au niveau des entreprises. Dans les deux cas: les TPE voire PME nentrent pas dans les chemins de la ngociation collec-tive ; les grands groupes ngocient pour eux ; on peut faire tout, partout, aux trois niveaux (8e alina de la Constitution, son interprtation par le droit et sa pratique) ; on ngocie plutt sous la pression ou la contrainte (march, loi, Europe).

    Pourtant, ngocier dinitiative sur un terrain prospectif rpondrait des attentes lgitimes chacun de ces niveaux. La ngociation de branche dau-jourdhui et de demain doit avoir pour rle de stimuler et faciliter une initiative organise et outille, selon les voies les plus diverses: elle den organiser les cohrences et la lgitimit.

    Enfin, formation et application des accords ayant vocation inter-agir plus quavant, la question des moyens du dialogue social mrite dtre pose de nouvelle manire. Elle doit prendre en compte les besoins dun certain

  • 22 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    pilotage de leur mise en uvre et des bilans/valuation. Il ne sagit pas du finan-cement des organisations et appareils engags ou contribuant la ngociation, mais bien de celui de la ngociation elle-mme. Une programmation de la ngo-ciation collective peut alors tre envisage, car il faut bien ajuster entre eux, dun commun accord, quelques objectifs et des ressources.

    Il ne peut sagit ds lors que de ressources communes aux ngocia-teurs (par exemple experts), non de moyens rpartir entre eux, cest essentiel.

    Des branches nouvelles

    Compte tenu de lanalyse qui prcde, on comprend que lapproche propose soit tout sauf celle dune rorganisation administrative, dont la ra-lisation devrait se caler dans les formes et procder avec lesprit et les outils dun mcano .

    Pour rpondre la demande du Premier ministre, il est propos de conforter lautonomie des acteurs de la ngociation, y compris voire surtout quant la dlimitation de la porte des normes quils produisent (leur champ). Il ny avait en ralit pas dautre choix possible. Parce quelle est llment dune dmocratie sociale, la ngociation collective mrite dvidence une telle atten-tion. Toute dmarche contraire heurterait la libert dassociation et les liberts syndicales.

    Surtout, la contribution de la ngociation collective de branche au dveloppement social durable, dans cette priode de crises, parait le bon angle dapproche pour mettre en mouvement les acteurs. Cest affaire politique plutt que technique ou juridique.

    La mission formule une trentaine de recommandations. Celles-ci peuvent tre regroupes selon trois ensembles. Mme si la cration dun envi-ronnement administratif plus favorable lautonomie des acteurs est indisso-ciable des deux autres ensembles de recommandations, ces dernires mritent plus spcialement une prsentation dans le cadre de cette note.

    Les branches nouvelles: ide directrice, pouvoir organis, dynamique collective

    Lautonomie de la dlimitation du champ et de ses sous-ensembles est llment sans lequel il ne peut y avoir ngociation collective entre acteurs qui se reconnaissent. La ngociation mre, en quelque sorte, porte sur le champ des normes dont la ngociation est envisage. En cela, elle institue une forme didentit collective qui, en retour, devient cratrice, par les limites quils ont traces, des acteurs de la rgulation professionnelle eux-mmes et de leur lgi-timit agir.

    La reconnaissance rciproque doit se faire dabord au sein de cha-cune des parties, patronale et syndicale. Pour ce qui concerne la partie syndicale, elle se faitselon les procdures prvues par la loi du 20aot 2008, tous les quatre ans. Pour ce qui concerne la partie patronale, elle peut se faire par mise en visi-bilit des adhsions de chacune des organisations.

  • 23Synthse du rapport

    Pour clairer cependant ce que doit tre, selon elle, la reconnais-sance de la reprsentativit patronale, la mission propose quelques repres essentiels. La reprsentativit sapprcie dabord au regard du champ dappli-cation matriel de la ngociation. cet gard, une notion cl pourrait tre celle dune reprsentativit cumule suffisante . La reprsentativit pertinente des organisations demployeurs dans la ngociation collective de branche a ceci de particulier quelle doit tre, trs probablement, une reprsentativit institution-nelle, dordre statutaire, non lective.

    Lapproche recommande permet dtoffer la reprsentation des intrts patronaux et de la structurer chemin faisant, facilitant par l des rappro-chements et regroupements sur des bases volontaires et contractuelles (avec les incitations que propose par ailleurs la mission), dans le cadre de procdures de reconnaissance rciproque engageant au final le tour de table dans son entier.

    Cette reconnaissance rciproque de toutes les parties au tour de table amorce ainsi un processus continu, dont des aspects essentiels seront rythms par la possible remise en question quadriennale de sa parit syndicale.

    La mission recommande que la convention de reconnaissance rci-proque institue la branche. Cest un contrat dengagement collectif, dont la nature en droit du travail peut se rapprocher de celle dun protocole prlectoral dentreprise ou dtablissement (lections aux comits dentreprise ou des dl-gus du personnel).

    Une instance authentiquement paritaire (galit dinitiative, tablis-sement conjoint du calendrier des ngociations, processus de dcision adopt en commun, moyens communs) doit pouvoir assurer la gouvernance de la ngo-ciation collective dans la branche sans tre elle-mme instance de ngociation. Elle a pour rle de veiller une organisation des pouvoirs qui favorisent les coordinations, veille aux cohrences et aux rgles de lgitimit des ngociations. Cest le corollaire de la reconnaissance rciproque. Lessentiel est dans la recon-naissance dune rgulation conjointe, dans la cration dune zone de consensus autour des rgles de production des accords et de leur administration, en limitant les contraintes normatives externes au strict ncessaire.

    Dans un but purement pratique, lorgane que constitue linstance paritaire de gouvernance de la ngociation collective dans la branche peut tre dot par le lgislateur de la personnalit civile, linstar dun comit dentreprise. Cela permet de circonscrire la personnalit civile des rles qui ne peuvent vala-blement tre exercs sans un patrimoine et une capacit strictement proportion-ns aux buts poursuivis. Les associations cres dans plusieurs branches dans une optique comparable voluent dans des zones de flou qui peuvent soulever des difficults.

    Diffrencier gouvernance et fonctionnement de la ngociation pr-sente cet avantage essentiel dinstituer la branche en prservant la libert des uns et des autres de signer ou de ne pas signer, voire de quitter la table des ngociations, sans casser pour autant le corps de rgles qui assure la cohsion de linstitution.

    Parmi les rgles substantielles de gouvernance, celle dune pro-grammation du fonctionnement de la ngociation collective, tablie conjointe-ment, parat constituer un lment dcisif des nouvelles dynamiques collectives

  • 24 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    favoriser. Lapplication dune telle rgle est de nature, en effet, concrtiser la lgitimit paritaire du fonctionnement de la ngociation collective dans la col-lectivit quest la branche, en reliant grands objectifs et ressources, et en orga-nisant leurs ajustements, dans les deux sens. Cela peut contribuer la visibilit et la lisibilit de lactivit de branche dans le champ de ngociations quelle constitue. Cest un point dappui pour le caractre incitatif du financement de la ngociation collective propos par ailleurs.

    Ceci donnerait leur pleine porte aux dispositions nouvelles de lar-ticle L.2122-8 du Code du travail (loi du 20aot 2008): Lorsque la reprsen-tativit des organisations syndicales est tablie, celles-ci fixent, en lien avec les organisations demployeurs, la liste des sujets qui font lobjet de la ngociation collective de branche ainsi que les modalits de son organisation . Cela permet-trait, dans les branches dont la convention de reconnaissance rciproque serait agre, de substituer aux obligations lgales de ngociation, restes thoriques, des obligations de nature contractuelle. Leur ralisation progressive serait plus probable car approprie aux ralits concrtes et aux engagements rciproques.

    Incitation au changement et accompagnement

    Il convient dencourager la cration de branches rpondant aux cri-tres viss en conditionnant lautonomie renforce de leurs acteurs, ainsi que ses consquences, par un agrment de la convention de reconnaissance rci-proque, aprs examen dans le cadre de la Commission nationale de la ngocia-tion collective.

    Lagrment permettrait de limiter lexamen des demandes dexten-sion au seul contrle de lgalit, pour scuriser les accords. En cas dabsence de convention de reconnaissance rciproque ou de retrait dagrment, il devrait tre possible, par contre, daller jusquau retrait de lextension.

    Llargissement par voie contractuelle serait favoris : cest une forme de reconnaissance rciproque.

    En labsence de convention de reconnaissance rciproque ou en labsence dagrment, il y aurait possibilit de conclure des conventions simples ou des conventions susceptibles dextension avec contrle complet (lgalit, opportunit), sans financement de la ngociation collective.

    Assurer un financement de la ngociation collective prlvements constants, aux fins dincitation est cohrent avec cette approche. Son interven-tion devrait se faire exclusivement sur agrment de la convention de reconnais-sance rciproque et production dune programmation de la ngociation, aprs examen dans le cadre de la Commission nationale de la ngociation collective.

    Il doit sans doute tre envisag que des conditions objectives, pr-visibles et mesurables constituent des critres dagrment, pour inciter aux regroupements lgitimes (effectifs dadhrents des organisations patronales, nombre minimum de salaris couverts par les accords en vue dune extension). Ces conditions, si elles taient reprises par voie lgislative ou rglementaire, pourraient exposer larrt dagrment et les arrts dextension subsquents qui les mconnatrait lannulation pour erreur de droit manifeste ou pour excs de pouvoir.

  • 25Synthse du rapport

    Cela permettrait de revenir, dans le cadre de procdures prenant appui sur la Commission nationale de la ngociation collective, sur le stock des conventions collectives existantes. Le ministre du travail a la facult dabro-ger les arrts dextension. La loi peut lui en donner les moyens, aprs ngocia-tion interprofessionnelle en application des dispositions de la loi du 31janvier 2007. partir de l, trois procdures peuvent tre utilises : llargissement contractuel, llargissement administratif et lextension, en favorisant llargis-sement contractuel, forme de reconnaissance rciproque.

    Il est souhaitable que les partenaires sociaux soient en effet invits ngocier une dfinition de la branche-institution favorisant les regroupements ncessaires lautonomie vise. Cette ngociation peut tre le pralable lin-tervention du lgislateur, conformment la loi du 31janvier 2007.

    En appui au changement, des quipes pluridisciplinaires, bnfi-ciant du respect de lautorit de ltat, avec le concours des comptences que ses services peuvent mobiliser, doivent tre dployes dans le cadre de proc-dures garantissant leur autonomie, ainsi que la pertinence et la qualit de leur intervention.

    linstar de ce que le Canada et le Royaume-Uni ont ralis, il pourrait y avoir agrment ou habilitation de personnes indpendantes par le ministre du Travail, dont le vivier serait renouvelable. La qualit de fonction-naire ne serait pas un critre pour lagrment ou lhabilitation, ni dailleurs une contre indication: il sagirait de dsignations intuitu personae.

    Lensemble doit certes produire et administrer des standards, mais selon des techniques de rseaux coordonns, et non selon des logiques dhomo-gnisation ou dintgration: On se marie quand il faut .

    Plutt que la cration dune nouvelle haute autorit ou que lados-sement de laccompagnement au Haut Conseil du dialogue social, dont ce nest pas la fonction, il peut tre envisag didentifier, dans le cadre des programmes budgtaires de la mission travail , une action, voire dun programme spci-fique, ddis cet accompagnement.

    Il est plus commode et plus cohrent, mais aussi plus efficient, y compris du point de vue des retombes positives sur la transformation de lad-ministration du travail et de son rle, que le dispositif daccompagnement soit adoss lautorit charge, par ailleurs, du contrle de lgalit. Ce contrle peut et doit tre vu comme une garantie de scurisation et de libert pour les acteurs de la ngociation collective. La Direction gnrale du travail serait pleinement reconnue comme chef de file au sein de ladministration de ltat.

    Conclusion

    Sauf se restreindre au rle dune rgulation sociale dconnecte des ralits conomiques, la rgulation de branche doit renouveler ses relations avec les acteurs des entreprises. La gouvernance de la ngociation collective et du dialogue social dans la collectivit professionnelle que peuvent former des branches nouvelles est sans doute la voie de ce renouvellement.

  • 26 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    Ce renouvellement est lune des cls ouvrant la voie vers un dve-loppement social durable.

    Ni trop prs des contraintes de la gestion de court terme, ni trop loigne de celle-ci, la ngociation de branche peut et doit offrir le nouveau cadre de rgulation dont nous avons le plus grand besoin. Les difficults face aux crises actuelles nous y invitent: de nouvelles capacits, dans des primtres plus larges, sont ncessaires.

    Les comparaisons internationales le montrent (1) : plus large est ltendue des sujets dont le traitement est possible et plus lev le taux de cou-verture conventionnel, plus forte est la progression des salaires et moindres sont les ingalits salariales. Une ngociation collective active dans tous les domaines soumis ngociation conduit la fois des salaires moyens plus levs que dans les pays o cette ngociation est plus troitement circonscrite, ainsi qu une plus grande rduction de linquit salariale. Cet effet rsulte plutt de la latitude des choix des ngociateurs quant aux objets de leurs ngociations que dune concentration de celles-ci sur les seules normes salariales minimales.

    Aprs les rformes de 2004, 2007 et 2008, les recommandations de la mission sont des repres pour une tape nouvelle, amplement justifie, de la refondation des rgulations professionnelles en France. Cette tape doit per-mettre aux acteurs de la ngociation collective de reprendre leur part dinitiative.

    (1) Bureau international du travail (BIT), Global wage report, 2008.

  • 27Introduction gnrale

    Introduction gnrale

    Que na-t-on pas dit de la ngociation collective de branche ? Elle serait morte depuis labandon du principe de faveur et ladoption de la loi du 4mai 2004: Une convention de branche ou un accord professionnel ou inter-professionnel peut comporter des stipulations moins favorables aux salaris que celles qui leur sont applicables en vertu dune convention ou dun accord cou-vrant un champ territorial ou professionnel plus large, sauf si cette convention ou cet accord stipule expressment quon ne peut y droger en tout ou partie. Lorsquune convention ou un accord de niveau suprieur la convention ou laccord intervenu est conclu, les parties adaptent les stipulations de la conven-tion ou accord antrieur moins favorables aux salaris si une stipulation de la convention ou de laccord de niveau suprieur le prvoit expressment (article L.2252-1 du Code du travail).

    Ensuite, cette mme ngociation collective de branche aurait t comme enterre par ladoption de la loi du 20 aot 2008 sur la dmocratie sociale et le temps de travail. Mme dminents juristes de droit du travail peu-vent avoir cette perception, si lon en croit ce propos de MM. Gilles Blier et Henri-Jos Legrand: Sil est vrai que le texte de la position commune portant sur la reprsentativit et le droit de la ngociation collective a t respect, force est de constater lampleur anormale des distances prises avec elle sagissant de la dure du travail et de certaines dimensions essentielles du droit de la ngocia-tion collective, notamment du renversement explicite de la hirarchie des normes adopt par la loi du 20aot 2008 pour les ngociations sur le temps de tra-vail (1). Dans le cadre de cette loi, la primaut accorde laccord dentreprise sur laccord de branche en matire de temps de travail semble accrditer cette thse.

    Plus gnralement, chacun constate - et beaucoup le regrettent - que les vingt-cinq dernires annes de notre histoire sociale ont consacr la force des accords nationaux interprofessionnels et des accords dentreprise au dtriment de la ngociation collective de branche. Du reste, on na pas tard sengouffrer dans cette brche: la thse selon laquelle la constitution de droits et de normes sociales devrait in fine tre laisse deux niveaux (accords nationaux interpro-fessionnels et accords dentreprise) se fait de plus en plus entendre. Au total, la cote de la ngociation collective de branche serait la baisse.

    Un rapide constat sur ltat et le nombre des conventions collectives renforce cette impression mitige. Les 687 conventions collectives enregistres la Direction gnrale du travail, et les 256 conventions collectives enregistres par les services du ministre de lAgriculture constituent plus de 900 sources

    (1) Gilles Blier, Henri-Jos Legrand, La ngociation collective aprs la loi du 20aot 2008. Nouveaux acteurs, nouveaux accords, Paris, ditions Liaisons, 2009, p.12.

  • 28 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    normatives de droit social dont la diversit sexplique souvent, mais se justifie beaucoup moins.

    La trs forte proportion de conventions caractre local (rgional, dpartemental ou infra-dpartemental) trouve sans doute sa lgitimit dans le droulement de lhistoire socio-conomique de notre pays. En particulier, il nest ni illgitime ni insens de prendre en compte les particularits gogra-phiques des territoires pour dfinir les contraintes lies lactivit conomique: ceci est particulirement pertinent dans lagriculture, dans le btiment ou dans le commerce. On ne peut davantage rayer dun trait de plume la manire dont sest constitue la mtallurgie dans notre pays, qui sorigine dans une multitude de petites entreprises petit petit rassembles au sein doprateurs plus importants. De ce fait, la ncessit de maintenir un niveau local la possibilit de dcliner les obligations du Code du travail ou celle des conventions collectives nationales ne peut tre conteste.

    Cela tant, la fragmentation, pour explicable quelle soit, ne contri-bue pas la force du dialogue social de branche. Elle est en elle-mme fac-teur daffaiblissement, provoquant, selon les termes de dAnnette Jobert, un manque de visibilit, de lisibilit et defficacit de la ngociation collective.

    Pour autant, les lois successives de 2004, 2007 et 2008 ne sont pas revenues sur les domaines rservs des conventions collectives de branche, tels que prciss dans le Code du travail : les salaires minima de branche, la pr-voyance, la formation professionnelle, les classifications, les priodes dessai demeurent effectivement dans les comptences rserves de la ngociation collective de branche.

    En fait, si la volont des lgislateurs successifs a clairement - et dans une certaine mesure constamment - cherch donner davantage de souplesse la ngociation collective, la branche professionnelle conserve dans ce contexte un nombre important de prrogatives destines lui permettre de remplir sa pre-mire fonction: harmoniser le contenu contractuel du travail afin dviter autant que possible des distorsions de concurrence dont les conditions salariales (au sens large du terme) seraient une variable dajustement.

    La conjonction de cette force donne par le droit et de cet affaiblis-sement structurel ne manque pas dinterroger, dautant plus que notre pays a besoin dune ngociation collective de branche renforce. La lettre du Premier ministre Franois Fillon, en date du 4novembre dernier, marque cette volont et souhaite que cette situation exagrment plurielle des conventions collectives et, par l, des branches professionnelles, soit examine: Le nombre important de ces branches et notamment de celles employant peu de salaris est rgu-lirement mis en avant comme un facteur daffaiblissement dun dialogue social prenne et de qualit... Cest pourquoi il est aujourdhui ncessaire dexaminer les voies et moyens de permettre la ngociation de branche de jouer pleine-ment son rle dans toutes les branches, et faire ainsi en sorte que tous les sala-ris de notre pays puissent en bnficier .

    Il y a trop de branches : ce constat est unanime, au point que lon peut en venir souhaiter une rduction drastique de leur nombre. Mais quelles donnes objectives ce trop doit-il se rfrer ? Le nombre incomparablement lev de conventions collectives de branches (notamment au regard de ce qui se passe dans

  • 29Introduction gnrale

    dautres pays) est problmatique: mais ce nombre est-il le seul, ou mme le premier facteur de laffaiblissement de la ngociation collective de branche ?

    Puisquil y en a trop, il faut les regrouper : oui, sans aucun doute. Mais comment ? Faut-il sinspirer de la mcanique prconise pour les projets de regroupement des organismes paritaires collecteurs agres (OPCA), et donc dterminer des seuils quantitatifs en dessous desquels on ne reconnatrait plus les branches ni leurs conventions collectives ? Mais alors que faire des fonde-ments essentiels de notre Code civil concernant le respect absolu des contrats rpondant toutes les exigences formules dans notre droit ?

    Ces deux questions principales ont guid llaboration de notre mthode dinvestigation, qui repose sur quatre volonts ou principes:

    Tenter de figurer non pas lavenir des branches profession-nelles, mais lvolution de leurs missions : les mutations importantes que connat notre environnement social et conomique, les mesures de survie que certains secteurs ont t amens ngocier, la ncessit de se proccuper au moins autant du maintien de la capacit employer dans certains mtiers que den dfinir les rgles, etc.: tout cela concourt sinterroger sur la faon dont les branches professionnelles pourront et devront, demain, envisager leur activit.

    Trouver le bon ordre entre une approche purement quantita-tive des conventions collectives et des branches, et une apprciation quali-tative de leur activit: lexamen, le dynamisme et la capacit des branches professionnelles remplir leurs missions de ngociation collective ne sont pas directement ni seulement lis leur taille. Certaines conventions collec-tives inities par un trs petit nombre de salaris (parfois seulement quelques dizaines) sont plus dynamiques et plus utiles leurs employeurs et leurs sala-ris que dautres qui rassemblent de nombreuses entreprises et des salaris par dizaines ou centaines de milliers. Ds lors, il semble plus pertinent de regarder les branches professionnelles en regard de leur capacit fournir des repres et garanties leurs entreprises et salaris. Cest cette approche qualitative que nous avons souhait privilgier, et donc la recherche de moyens visant faciliter la qualit et la pertinence des ressources quoffre la ngociation collective aux acteurs des entreprises.

    Inciter plutt que contraindre : la convention collective, quoi quon en dise, relve tout de mme de la sphre du contrat pass entre les parties. Certes, il est toujours possible de conditionner les effets des contrats venir ou de leurs complments. Mais il est trs difficile, en respectant les principes fon-dateurs de notre droit, de mettre fin par dcision administrative aux conventions enregistres, qui ont t rgulirement conclues. Cest pourquoi nous avons cherch des mcanismes incitatifs, plutt que des contraintes, pour inviter leurs acteurs faire voluer le rle et le paysage des branches.

    En termes de mthode, auditionner le plus largement pos-sible, et dans toutes les spcialits, en raison de la complexit et du caractre transversal du sujet tudier: dans la mesure o lavenir des branches pro-fessionnelles met en cause des dimensions sociales, juridiques, sociologiques, organisationnelles, politiques, il nous a sembl ncessaire de solliciter, au-del des partenaires sociaux, tous les types de spcialistes.

  • 30 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    Tous ces lments ont conduit poser les questions suivantes:

    -tion collective de branche ? Comment approcher sa ralit par quelques indica-teurs quantitatifs simples ? Comment en apprcier la qualit et le contenu ? Enfin, quels enseignements peut-on tirer de lhistoire de la ngociation de branche dans notre pays ?

    droit ce sujet, et comment doit-on prendre en compte le fonctionnement actuel des branches professionnelles pour en cerner la ralit ?

    Indpendamment des questions touchant la reprsentativit syndicale en tant que telle, comment la nouvelle manire destimer et dorganiser la reprsen-tativit au niveau des branches peut-elle faire voluer la posture des acteurs employeurs comme salaris ?

    -nelles, au travers des accords collectifs et conventions collectives, au regard du droit ? Les domaines de comptence de la ngociation collective sont-ils appels voluer ? Dans quelle direction et pourquoi ?

    branche ? Comment identifier prcisment la fonction de ngociation collective dans chaque branche professionnelle ? Comment asseoir plus solidement sa lgi-timit et les moyens de son fonctionnement ? Quels moyens dincitation doivent permettre la constitution de branches professionnelles plus fortes, dont laction sera plus visible, plus anticipatrice et plus stratgique ?

    -nent pas remplir leur mission de cration de dialogue social, et qui ne seraient pas entranes dans le mouvement cr par les mcanismes incitatifs mis en place ?

    La mission sest rendue en Allemagne, au Canada, en Espagne et en Belgique. Elle a rencontr enfin des interlocuteurs dont lapport sest confirm comme dcisif, dabord au Bureau international du travail, o elle a rencontr M. Juan Somaria, son directeur gnral, mais aussi Bruxelles, la Commission et la reprsentation de la France auprs de celle-ci.

  • Premire partie

    lments de constat

  • I-1 Faut-il dfinir la branche professionnelle ?

  • 35lments de constat

    Faut-il dfinir les branches ?

    Il nexiste pas de dfinition juridique a priori de la branche ou des branches professionnelles.

    Ce qui est dfini par le Code du travail, ce sont, chacun de leur ct, les partenaires sociaux : organisations reprsentatives des employeurs et des salaris. Mais les lieux et instances o ils doivent se rencontrer pour dterminer ensemble des rgles collectives ne sont pas dfinis a priori.

    Il existe des dispositions qui distinguent la ngociation collective de branche et la ngociation collective dentreprise (1), mais la notion de branche professionnelle et celle dentreprise ne reoivent pas plus de dfinition lune que lautre.

    La brancheprofessionnelle est une construction des acteurs de la ngociation collective: sa dfinition est empirique et plurielle

    Pour les conomistes, la branche renvoie un march de produits ou de services suppos homogne. Pour les statisticiens, elle peut tre employe concurremment avec la notion de secteur, cest--dire un ensemble dentreprises regroupes selon un critre dactivit dominante, et non partir dun critre dactivit homogne.

    Du point de vue du droit du travail, les branches sont des construc-tions de la ngociation collective. Autrement dit, les branches professionnelles ne sont pas des cadres prtablis (donns par le march, tablis par la science ou constitus par ladministration), dans lesquels on ferait entrer des acteurs eux-mmes prexistants. Cadres pour laction, leurs contours rsultent de compromis entre les acteurs que cette ngociation engage.

    Bien sr, une recherche commune court au travers de ces diffrents usages de la mtaphore quest la branche : celle dune activit conomique identifie (2). Aussi la branche conomique, la branche statistique et la branche professionnelle peuvent-elles, certains gards, se faonner mutuellement. Mais jamais elles ne se recoupent.

    Ce nest pas un handicap pour la ngociation collective, au contraire. Labsence de dfinition a priori donne sa souplesse dusage la norme de com-

    (1) Articles L.2232-5 L. 2232- 35 du Code du travail.(2) Article L.2222-1du Code du travail: Les conventions et accords collectifs de travail, ci-aprs dsigns conventions et accords dans le prsent livre, dtermi-nent leur champ dapplication territorial et professionnel. Le champ dapplication professionnel est dfini en termes dactivits conomiques.Pour ce qui concerne les professions agricoles mentionnes aux 1 3, 6 et 7 de larticle L.722-20 du Code rural, le champ dapplication des conventions et accords peut, en outre, tenir compte du statut juridique des entreprises concernes ou du rgime de protection sociale daffiliation de leurs salaris. Les conventions et accords dont le champ dapplication est national prcisent si celui-ci comprend les dparte-ments doutre-mer, Saint-Barthlemy, Saint-Martin ou Saint-Pierre-et-Miquelon .

  • 36 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    position des branches, autorisant des interprtations trs htrognes de lactivit conomique. Ds lors quil sagit de ngociation collective, en raison mme des objets de la reprsentation dintrts collectifs et des modes dexercice de celle-ci, cette notion commune dactivit conomique doit pouvoir se prter, lgitime-ment et logiquement, des interprtations diverses et volutives. Celles-ci sont prcisment lenjeu premier dune ngociation libre ou autonome.

    Empirique, la dfinition de la branche est avec cela plurielle: il peut y avoir autant d identits de branches et de styles dorganisation de la ngo-ciation de branche quil y a dorganisations demployeurs dcidant de ngocier leur niveau.

    Pour lessentiel, les processus de construction et didentification des branches combinent ainsi, de faon extrmement diverse: le fait gnrateur du dcoupage ou du regroupement des activits en branches: celui du primtre, en termes dactivits conomiques, des organisations dem-ployeurs participant la ngociation de branche ; dans la plupart des cas, une apprciation du critre dactivit conomique sous langle dun produit ou dun service, plutt que sous celui dune filire, bien que plusieurs regroupements de branches aillent dans ce sens ; au-del de ce quautorise le Code du travail, cest--dire au-del de lagri-culture, un croisement de lactivit, au sens de produit ou service, avec le statut de lemployeur (artisanat, professions librales) ou le mode dexploitation des entreprises (conomie sociale) ; des concidences et recoupements de droit entre le primtre dune branche et celui des accords collectifs quelle produit (conventions collectives, accords collectifs thmatiques), organiss par la voie contractuelle, celle de la volont des parties, sauf largissement par voie de dcision administrative unilatrale.

    Mais il est non moins avr que ces interprtations htrognes sont ensuite largement entrines par la rgulation administrative, dans laquelle la pratique des acteurs que runit la Commission nationale de la ngociation col-lective (CNNC) joue trs logiquement un rle cl.

    trs grands traits, cette pratique des acteurs aboutit en effet pri-vilgier trs fortement les procdures dextension (consolidation des champs ini-tialement dfinis par les ngociateurs), plutt que les procdures dlargissement (modification des champs initialement dfinis par les ngociateurs). Les condi-tions demploi de cette dernire sont pour eux, en ltat, dun usage beaucoup plus dlicat, y compris en cas de caducit avre dun champ conventionnel. Lextension de la porte des accords collectifs produits par la ngociation de branche consolide et arrte ainsi fortement le choix des parties la ngociation, lui confrant une nature rglementaire.

    On ne peut perdre de vue, en effet, que la dlimitation de la rgle ngocie est un lment fondateur de celle-ci. Reconnatre la diversit des inter-prtations de la norme de composition des branches et reconnatre la ngociation collective ce niveau ne font quun. Les branches, cadre et point dappui dune ngociation collective, ne peuvent tre dfinies que par la volont des parties.

  • 37lments de constat

    Ce sont de nouvelles capacits dorganisation et de gouvernance qui sont ncessaires, non une dfinition administrative a priori

    La branche professionnelle nest vue par personne comme un sujet de droit, qui aurait besoin dun statut. Perue comme une entit de la vie socio-conomique, on lui reconnat deux qualits principales. Tout dabord, on la vu, les acteurs quelle runit sont capables de reprsenter et dengager les intrts des parties la relation de travail dans le primtre quils dfinissent et qui, en ralit, les constitue en tant quacteurs de la ngociation collective. Il en dcoule des droits et des obligations, malgr labsence de dfinition de lentit de ngo-ciation collective professionnelle quest la branche.

    Dans ces conditions, il peut sembler suffisant que lune des construc-tions les plus visibles de la branche, les conventions collectives, reoive une existence juridique incontestable, celui dun statut collectif des relations de tra-vail dans le primtre de la branche ; celle-ci tend sidentifier aux conventions collectives que produisent ses acteurs, dans la pratique.

    Ces dernires sont parfaitement rfrences et dcrites par le Code du travail, au point que tous les accords collectifs de branche peuvent se confondre avec elles ou tre considrs comme leurs avenants ou annexes, bien que le Code du travail confre aux accords une autonomie indubitable vis--vis des conventions collectives. Cette autonomie est trop peu exploite, comme on le verra.

    Aussi bien une certaine tradition, celle de la loi de la profession issue de la loi de juillet 1950 sur les conventions collectives, que lusage ou la pratique relle des procdures de reconnaissance de la nature normative des conventions (1) sont pour beaucoup dans ce rsultat. La seule nature contractuelle des conventions ne suffirait pas celui-ci. Vus comme une certaine application de larticle L.1134 du Code civil (2), conventions collectives et accords collectifs nengageraient que leurs signataires ou, plus exactement, les adhrents des orga-nisations signataires. Or ceux-ci peuvent varier selon les accords, comme entre accords et conventions collectives.

    La tradition de notre pays donne donc, jusqu maintenant, une trs grande porte lorigine contractuelle des produits des branches, ds lors quil sagit de conventions collectives. Par l, il est trs probable que labsence de for-malisation juridique des critres dexistence et de gouvernance des branches ait facilit la multiplication des champs conventionnels. Ceux-ci, assimils ds lors des branches, atteignent maintenant plus de 900, dont un peu plus dun tiers seulement ont une porte nationale.

    Est-ce satisfaisant ? Dun certain point de vue juridique, on pourrait bien sr le soutenir: il suffit en effet que les accords constitutifs des conventions

    (1) Extension, largissement, agrment.(2) Les conventions lgalement formes tiennent lieu de loi ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent tre rvoques que par leur consentement mutuel, ou par les causes que la loi autorise. Elles doivent tre excutes de bonne foi .

  • 38 Rapport sur la ngociation collective et les branches professionnelles

    collectives soient reconnus et authentifis pour que le systme fonctionne apparemment.

    Surtout, on la vu, proposer une dfinition des branches profession-nelles codifier serait entirement dnu de sens et contraire toute ide de ngociation collective autonome.

    Cela tant, il est devenu assez clair quil faut revenir sur des fai-blesses et dsquilibres qui nuisent gravement la capacit de ngociation col-lective dans son ensemble, compte tenu du rle des branches professionnelles dans le systme des relations professionnelles de notre pays. Nous visons par l les capacits collectives dinitiative et de gouvernance des acteurs quelles runissent.

    Au moins faut-il clarifier la nature de cet espace dans lequel fd-rations demployeurs et de syndicats de salaris se retrouvent pour assurer une rgulation des relations professionnelles.

  • I-2 Lactivit des branches professionnelles en France

  • 41lments de constat

    I-2.1. Chiffres cls

    Nombre de conventions collectives

    Niveau gographique

    Secteur conventionnel

    National Rgional Dpartemental et local

    Total

    Agricole 38 (19 tendues) 60 (60) 157 (157) 255Travail 333 (240) 85 (47) 269 (126) 687Total 371 145 426 942

    Source: ministre de lAgriculture et de la Pche et ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarit et de la Ville (Direction gnrale du travail - base de donnes des conventions collectives). Convention collective en vigueur au 31dcembre 2008.

    Taux de couverture

    Taux: 86,5% des salaris des secteurs non agricoles sont couverts par des conventions collectives stricto sensu ou 90,4% en incluant les accords de branche, soit environ 14millions de salaris (1).

    politique dextension des champs conventionnels par les pouvoirs publics, avec pour premier objectif lapplication la plus large de salaires minima convention-nels rengocis pour atteindre au moins le niveau du SMIC

    lacunes dans la couverture conventionnelle de branche selon lobjet de ngocia-tion, au contraire. En effet, hors ngociations salariales, lactivit de ngociation est faible au plan global et, s